Ayant toujours porté beaucoup d’attention au monde du photojournalisme et ayant découvert quelques unes des photos de Camille Lepage au festival Visa Pour l’Image de Perpignan, c’est peu dire que j’étais impatient de découvrir ce film.
C’est d’ailleurs là bas que commence véritablement le film (après une séquence d’introduction où l’on apprend d’entrée la destinée du personnage principal) et qu’on la découvre véritablement, idéaliste et passionnée. Le film aurait été moins intéressant que ce qu’il est s’il n’avait fait que retracer les derniers moments de sa vie ainsi que décrire un contexte géopolitique explosif. Heureusement, il va aussi se focaliser sur un questionnement que tout photojournaliste a dû avoir à un moment de sa carrière: quelle distance faut-il mettre? Quelle légitimité dans sa fonction? Quelle utilité? Quel point de vue et quel regard adopter? Même si toutes les questions ne sont pas traitées de manière exhaustive, elles ont au moins le mérite d’être soulevées dans le film.


C’est d’ailleurs cette dernière question qui va être au cœur du premier échange entre Camille et un collègue plus ancien dans ce festival. Il lui reproche de faire de belles photos mais de ne pas avoir de point de vue. Faut-il privilégier l’action? Les personnes? On verra par la suite que son regard va s’affiner et évoluer au fil des circonstances. On notera aussi que le point de vue de Camille se chevauche avec celui de Boris Lokjine. L’utilisation du format 1.55 très peu utilisé au cinéma (mais équivalent au ratio 3/2 de l’appareil photo réflex) donne la sensation d’être avec Camille ou en tout cas d’adapter notre propre regard de spectateur. De plus, le réalisateur entrecoupe ses scènes (incroyablement reconstituées) par les vraies photos de Camille Lepage, ce qui renforce cette impression.


En ce qui concerne la légitimité du personnage, il en est déjà question dans la sphère familiale où elle a visiblement mis du temps à être acceptée et respectée en tant que photojournaliste. Dans le cercle professionnel également à travers les conversations avec ses collègues (nous sommes là pour quoi?) et à travers sa place de femme dans un monde d’hommes.
Sa condition d’occidentale dans un pays au lourd passé colonial lui permet-il également de s’imposer, voire de prendre position alors même que la France et les Nations Unies tergiversent à prendre la moindre décision? Le réalisateur essaie de comprendre les différentes parties mais ne juge jamais. Il n’y a point de paternalisme ou d’attitude post-coloniale comme j’ai pu le lire dans certains papiers. Mais cela renvoie à la problèmatique la plus importante de ce métier: la distance.


Cette distance, si dure à trouver, on peut dire que Camille Lepage en a payé le prix fort. La scène du bar, où un collègue fait allusion à cela et lui dit qu’elle doit absolument se protéger, sonne comme sentence. Cette distance est également mise à l’épreuve lors d’un lynchage où on est en droit de se demander si la présence des journalistes n’attisent pas l’horreur de la situation (malgré eux biensûr).


Il y a peut être trop de choses dans le film pour une si courte durée mais il mérite d’être vu pour au moins 3 raisons :
- Il rend hommage (sans l’idéaliser) à Camille Lepage dont on sent que ce métier était une raison de vivre ainsi qu’aux photojournalistes qui prennent des risques incensés pour qu’on puisse être informé.
- la qualité de la reconstitution du conflit centrafricain avec une énorme participation d’acteurs et techniciens locaux.
- l’interprétation bouleversante de Nina Meurisse qui a su retranscrire à l’écran l’humanité, les interrogations et l’idéalisme de son personnage.

Kassopuccino
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le 22 oct. 2019

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Julien Martin

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