Comme chez Weisz (réal de Confessions d'un cannibale), nous avons donc cette idée de la personnification ultime de l’amour allant jusqu’au Cannibalisme, où l’un offre sa chair (s’offre pleinement) et où l’autre le consomme avec un amour fusionnel (l’autre vivra éternellement en lui). Voilà pour ce qui est des bases communes, mais ici, Marian Dora y rajoute, en plus des ambiances très particulières qu’il se plaît à mettre en scène (musique atmosphérique qui s’aventure vers un romantisme sincère à la Nekromantik, beaucoup de fumée, halo lumineux étranges, étonnant générique qui reprend les atmosphères des giallos Argento…), une atmosphère de conte pervers inattendu, et qui fonctionne en termes de poésie (avec l’évidente allusion à l’ogre, mais pas seulement). Il convient toutefois de préciser qu’avant d’être un film choc, Cannibal est une love-story gay au premier degré. Si Weisz était assez soft dans sa présentation du milieu homo (il s’axait davantage sur les névroses des deux personnages et mettait en scène leur relation de façon sobre), Dora y va à fond dans le fantasme. Passé une introduction où le futur cannibale cherche le candidat idéal comme l’homme de sa vie (il ne veut pas choisir une femme parce qu’elles sont trop importantes pour la reproduction (heu… c’est un critère…)), nous avons un préambule avec des conversations trash envoyées par internet, puis après seulement 22 minutes, les voilà déjà en train de se dévorer des yeux sous un arbre en pleine nature. Il y a d’ailleurs toujours ce goût pour la nature chez Dora, cet amour des lieux en plein air, au point de commettre des fautes de goûts assez énormes comme cette partie de pétanque où nos deux personnages jouent nus dans un champ. Une scène nue comme ça, gratuite. Autant dire qu’au niveau des étreintes amoureuses, c’est un florilège pendant 20 minutes. Mais le film essaye vraiment de soigner son contexte romantique, en faisant preuve d’un romantisme au premier degré. Toutefois, le revirement vers le trash (car jusqu’à présent, le film n’était pas trash en dehors de la fascination des deux personnages pour le cannibalisme) est trop brutal pour convaincre. Non, une scène de sodomie avec des hennissements de chevaux, même si on comprend l’idée que l’un est en train de monter l’autre, c’est mauvais. Le film fait encore un peu durer les choses en ménageant une interruption de la romance en cours d’une dizaine de minutes. Puis arrive enfin la scène attendue du pénis coupé, scène costaude et assez réaliste (avec un détail bien crade à la fin), qui marque le début des dernières heures du couple avant la mort fatidique du mangé. Le film régurgite les principaux détails de l’affaire toujours en les passant à la moulinette de ses ambiances atypiques, jusque dans la scène du bain qui abouti sur la mort de notre mangé. Mais ce dernier considérant sa vie ratée, se détestant et voyant dans sa mort un sacrifice pour apporter la béatitude à son amant, le film continue en mode fantasmé, et poursuit l’histoire sous un angle toujours romantique, mais cannibale. Le même romantisme est utilisé pour les scènes où le cannibale transporte le corps jusqu’à sa préparation finale. Cette dernière cède un peu à la facilité en donnant dans la musique atmosphérique glauque pendant le découpage gore, mais retrouve classe et dignité pendant le banquet finale, qui s’offre même le luxe d’être distingué, comme une apothéose romantique. Aucune conclusion, Marian Dora préfère laisser son sujet en suspend. C’est plus prudent, car tel qu’il a été conçu, ce film est une vision fantasmée qui s’éloigne volontairement de la réalité pour s’attacher à une vision romantique si jusqu’auboutiste dans sa soif d’absolu qu’elle risque de ne pas trouver de public pour la recevoir (les contextes trash et gay ne vont pas forcément de paire, et confession d’un Cannibal donnait plus clairement dans le trash). Un essai intéressant, et bien moins long que Melancholie der Engel…