Capitaine Conan est le deuxième film de Tavernier ayant pour sujet la 1ere guerre mondiale. Après La vie et rien d'autre sorti en 1989 (que je n'ai malheureusement pas encore vu), portant sur le souvenir de ces soldats, notre réalisateur lyonnais s'attaque cette fois-ci à un film de guerre pur et dur, se focalisant sur un aspect méconnu de la WW1 : Le front d'Orient et la décisive bataille du Sokol.
Tavernier refuse de nous donner d'entrée toutes les clés ce qui évite une exposition didactique lourdingue. Au contraire ce choix, associé avec un parti pris de réalisation osé, nous donne une immersion totale et réaliste. Dès l'intro, la caméra déambule dans les tranchées, sous le bruit des obus. Elle est, nous spectateurs sommes, un fantassin, au milieu de la meute. Refusant le point de vue omniscient, la caméra de Tavernier sera toujours à hauteur d'homme pour des scènes de batailles saisissantes. Où est l'ennemi ? Où court-on ainsi ? On se tait. On obéit. On plonge en enfer. Tout comme pour un pauvre troufion de l'époque, l'ennemi est le grand absent du champ de vision.
Cet ennemi pour le voir il faut être avec Conan, aux avant-postes. Lui et sa meute recrutée dans les prisons militaires seront les seuls au contact. Ils sont passés maîtres dans l'art de l'assaut. De tuer.
Sauf que du jour au lendemain la guerre s'arrête et voilà cette bande de rustres taillés pour la boucherie, obligée de poireauter dans Bucarest. Chassez le naturel, il revient au galop. La bande se livre aux larcins, pillages et autres méfaits. C'est là que se dessine l'opposition savoureuse entre Conan et Norbert. Amis mais ici opposants, le premier défendant ses hommes, le deuxième devant les charger au tribunal martial. Chacun avec leur argumentaire, humain, compréhensible, crédible, réaliste.
Le tout est saupoudré d'une ironie grinçante absolument jouissive, disséminée au détour de répliques, de scènes d'une drôlerie acerbe (le discours de Foch ????), de personnages (Claude Rich génial en général complètement déconnecté des réalités : "Il faudra en coller un au poteau de temps en temps tout de même") ou de situations grotesques (le tribunal qui se tient dans une maison de passe).
Au niveau technique, Tavernier livre une réalisation impeccable avec des cadres riches, soignés et propose de vrais morceaux de bravoure (le plan séquence de la dernière bataille!), tirant même profit du manque de professionnalisme des figurants locaux : eux couchés ivres morts en costumes, Tavernier le transforme en champ de mort des plus crédibles.
Issu d'un tournage chaotique avec moult déconvenues (malfaçons techniques, figurants qui disparaissent avec leurs costumes, vols en tous genres), Capitaine Conan est un morceau de vérité arraché aux décors de western de Roumanie. Oui, rarement un film de guerre aura sonné aussi vrai sur ce qu'il dépeint, la guerre qui broie les hommes. Objet filmique puissant, porté notamment par un Philippe Torreton éclatant c'est une œuvre de cinéma qui marque durablement la rétine et l'esprit.