Carol
6.9
Carol

Film de Todd Haynes (2015)

Nominé pour six Oscars et cinq Golden Globes mais ressorti bredouille de chacune des cérémonies, Carol n'en est pas moins l'une des romances les plus marquantes de l'année 2016, date de sa sortie internationale... et on comprend pourquoi !


Attention, cette critique comporte de nombreux spoilers...


Le scénario -adaptation d'un roman du même nom écrit par Patricia Highsmith- nous raconte l'histoire de deux femmes, l'une s'appelle Thérèse, une jeune employée d'un magasin new-yorkais qui rêverait de vivre de sa passion qu'est la photographie, elle vie une relation amoureuse un peu platonique et principalement alimentée par l'investissement de l'homme souhaitant l'épouser. L'autre s'appelle Carol, c'est une mère au foyer d'une quarantaine d'années et de classe bourgeoise, elle est en instance de divorce et a pour meilleure amie et confidente son ex-maîtresse. Deux femmes que tout oppose et qui vont tomber amoureuses l'une de l'autre...
Un scénario certes simple et qui suit -hormis la scène d'introduction- un plan très classique. Mais le film n'en reste pas moins romantique et saisissant ! En effet, on pourrait s'ennuyer en regardant cette romance lesbienne que vivent Thérèse et Carol et qui laisse les compagnons de ces personnages impuissants et désespérés... mais non, l'histoire d'amour est touchante, ce qui influence notamment notre regard critique sur le rejet de l'homosexualité à l'époque où se passe l'action du long-métrage (il faut savoir que le roman lui-même fût censuré en 1952). En effet, au premier rang plan nous avons la mise en place de l'histoire d'amour et son évolution, tandis qu'en intrigue secondaire, nous retrouvons les problèmes personnels que vivent chacune des deux femmes dans leur relation hétérosexuelle : si le compagnon de Thérèse est déçu mais ne semble pas homophobe, il y a du côté de Carol une situation déchirante puisque la mère de famille est en instance de divorce, elle est aussi espionnée par son mari alcoolique qui la fait suivre par un détective privé et est désignée comme instable psychologiquement du fait de son attirance pour les femmes, un critère pris en compte dans le rejet de sa demande d'obtention de la garde de sa fille. Personnellement, j'ai été indigné par la façon dont la justice et la médecine traitent Carol, d'une part la situation est injuste et elle l'est d'autant plus que la romance nous touche et que l'histoire est selon moi non manichéenne puisque même s'ils ne sont pas parfaits et que plus particulièrement le désespoir du mari de Carol le rend un peu salop sur les bords, je n'ai pas vu les hommes du films comme de réels antagonistes, plus comme des obstacles à franchir pour que Thérèse et Carol exploitent la nature de leurs sentiments et qu'elles s'épanouissent dans leur relation.


On note néanmoins deux défauts majeurs dans cette histoire d'amour : celle-ci est peut-être émouvante mais n'est pas parfaitement bien écrite ; commençons par parler du développement des personnages. On a d'un côté une Carol qui est assez expressive, qui ne cache pas ses sentiments, qui ferra pleurer les spectateurs les plus sensibles et d'un autre côté, une Thérèse beaucoup plus réservée... avoir deux personnages ayant un caractère totalement différent c'est bien, et puis comme on dit, les opposés s'attirent ; mais Thérèse est beaucoup trop froide, mystérieuse, ne se dévoile vraiment pas assez. Jusqu'à la moitié du film, on a envie de la secouer pour qu'elle soit plus expressive, pour qu'elle semble ressentir quelque chose (et ce n'est pas un problème d'interprétation, c'est le personnage qui a été construit comme ça, Carol est surement attirée par le côté mystérieux de son amie mais là c'est exagéré) pourtant c'est ELLE qui vit sa première aventure lesbienne, on aimerait donc savoir comment elle ressent ça. Heureusement que le personnage est bien interprété, ça rattrape un peu les choses. Bref, le premier défaut est directement lié au personnage incarné par Rooney Mara.
Mais on a un autre problème qui concerne la mise en place de la relation (partie amitié-attirance) : l'instauration de l'histoire d'amour est elle étrange. C'est très subjectif, j'ai personnellement eu le ressenti que la love story commence seulement à partir du moment où les personnages font l'amour pour la première fois, avant ça c'est très platonique, les protagonistes semblent vivre un mélange d'amitié et d'attirance mutuelle, c'est pas très clair... une amitié-attirance qui d'ailleurs se met en place et se développe un peu trop vite par rapport à l'approfondissement de Thérèse qui ne se dévoile jamais assez ! Il y a un paradoxe car la relation entre les personnages évolue trop rapidement pour être naturelle mais le rythme général du film est parfois trop lent.


La dernière chose que j'ai à dire sur cette histoire d'amour, c'est que les défauts du film ne sont pas lourds de conséquence, la relation entre les deux femmes demeure en effet assez crédible. Dés lors que les deux protagoniste couchent ensemble, on les sent très proches, c'est une relation sensuelle et romantique... on y croit ! C'est d'ailleurs pour ça que j'ai intitulé ma critique "Mon ange tombé du ciel" ("my angel flung out the space" en VO), j'ai trouvé cette réplique qui tombe lors d'une scène de sexe, magnifique et très touchante, parfaite dans un film romantique ! Cette partie romance-sensuelle est beaucoup plus crédible et intéressante que la partie "amitié-attirance" ; elle est naturelle puisqu'elle arrive au bon moment, celui où on comprends que les deux femmes sont officiellement attirées l'une envers l'autre et que leur relation est bien plus qu'une "bromance" au féminin ou une simple phase dans la vie de Thérèse qui s'ennuie dans sa vie de couple.


Côté casting, très bon choix concernant les actrices principales : Cate Blanchett qui est sans aucun doute l'une des plus Grandes actrices de sa génération nous offre sans surprise une interprétation parfaite ; Carol à une vie un peu triste mais qui nous laisserait sans doute plus indifférent si l'actrice jouait banalement. Là Cate Blanchette à travers sa prestation donne vie à Carol... elle pleure, séduit, s'énerve et ce toujours avec un grand naturel, bref une prestation qui émût. Comme je l'ai dit, le personnage incarné par Ronney Mara se dévoile beaucoup moins dans ses émotions mais l'actrice parvient à nous la rendre attachante cette petite Thérèse ; donc la prestation de Rooney Mara justifie sa nomination aux Oscars même si le développement de son personnage nous fait comprendre pourquoi "que" le second rôle féminin (et faut pas oublier non plus qu'il y avait une belle concurrence pour la catégorie où Cate Blanchette fût nominée). J'ai senti une très bonne alchimie entre les actrices, que ce soit dans la scène du magasin, les scènes de sexe ou la toute dernière séquence (d'ailleurs, dans les derniers plans, on sent beaucoup d'amour dans le regard des personnages). Enfin, même si elle a un rôle secondaire, c'est toujours un plaisir de voir Sarah Paulson sur grand écran, l'actrice qui a fait ses preuves dans American Horror Story et American Crime Story mériterait des rôles plus importants au cinéma car elle est superbe ! Et je ne sais pas pourquoi mais j'ai également ressenti un peu de compassion pour le personnage de Kyle Chandler (le mari de Carol), il faut dire que l'acteur est habituellement lui aussi assez convainquant dans ses rôles.


Pour le côté technique, la direction artistique est très intéressante : pour le visuel extérieur, on a bien l'impression d'être dans les années 1950. Concernant l'intérieur, si on cherche à interpréter au maximum (oui j'ai tendance à faire de la surinterprétation), l'appartement de Thérèse est pâle, vide, en construction, un peu à l'image du personnage qui est jeune, mystérieux, à une vie amoureuse et professionnel à construire. La maison de Carol possède son élégance bourgeoise et est bien chargée, un peu comme sa vie... Deux exemples de décors particulièrement beaux : la scène dans le magasin où les deux femmes se rencontrent pour la première fois et celle où Carol est assise près d'une table basse dans l'hôtel. Les costumes portées par Rooney Mara et Sarah Paulson et surtout Cate Blanchett sont quand à eux vraiment magnifiques, très classes et en concordance avec l'époque où l'histoire du long-métrage se situe. Dernier commentaire sur le visuel : la photographie est également pas trop mal ; entre l'utilisation de floue, de quelques lens flare, la maîtrise de l'éclairage, les couleurs, la précision, les plans choisis (surtout ceux en voiture)... bon travail d'Edward Lachman ! Pour terminer avec l'aspect technique, la bande originale composée par Carter Burwell est simple et un peu trop répétitive mais très belle ; c'est un mélange de thèmes romantiques et dramatiques, ce qui correspond totalement à l'ambiance du long-métrage. Cette bande originale comprend notamment quelques musiques populaires mais la musique d'ouverture restera le meilleur titre musical du film selon moi.


Au final, un très bon résultat pour Carol, et ce malgré des défauts évidents dans la mise en place de l'histoire d'amour, le développement du personnage incarné par Rooney Mara et dans gestion du rythme. On est à la fois face à une romance touchante très bien interprétée et un drame qui ne laisse pas indifférent.

Créée

le 24 janv. 2017

Critique lue 1.4K fois

MovieBuff

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

D'autres avis sur Carol

Carol
Velvetman
8

Two Lovers

Avec cette mise en scène, que ne renierait pas Wong Kar Wai version In the mood for Love, la discrétion des sentiments sied parfaitement à une nomenclature esthétique au souffle court, qui fait...

le 13 janv. 2016

129 j'aime

26

Carol
Sergent_Pepper
8

Very blossom girls.

Un lent mouvement de caméra le long des façades, de celles où se logent ceux qui observent et qui jugent, accompagnait le départ de Carol White qui s’éloignait Loin du Paradis. C’est un mouvement...

le 31 janv. 2016

124 j'aime

7

Carol
JimBo_Lebowski
7

Angel

Il y a 20 ans Todd Haynes choisissait comme ligne de conduite avec Safe puis Far From Heaven de filmer la femme au foyer américaine, de sa capacité à exister dans un milieu ne favorisant pas...

le 12 janv. 2016

52 j'aime

12

Du même critique

Once Upon a Time... in Hollywood
MovieBuff
8

Ode au cinéma d'antan

Annoncé il y a deux ans, Once upon a time in… Hollywood est un projet ambitieux reliant l’american dream façon hollywoodienne et la folie de « La Famille » Manson. Malgré la personnalité un peu...

le 16 août 2019

11 j'aime

Edward aux mains d'argent
MovieBuff
10

Mains tranchantes, cœur pur

Si on pouvait citer une œuvre de Tim Burton qui fait l'unanimité, c'est bien Edward aux mains d'argent ! Première collaboration avec Johnny Depp, succès à la fois commercial et critique, détenteur du...

le 21 juil. 2017

8 j'aime