Cuisine d'un régal : the big (motion) picture

Enfin ! Enfin EON, production de la saga des James Bonds a récupéré les droits du premier roman de l'agent le moins secret du monde, paru en 1953. Enfin , comme Michal G. Wilson l'avait mentionné lui même, ils ont pu faire une adaptation correcte du roman. Loin des folies de l'adaptation de 1967 ou des coupures et de la pauvreté de la production de 1954. Ici on reprend la trame principale du roman. On change d'acteur, on change de ton, on se rapproche de nouveau de celui des romans comme à l'époque des débuts ou des deux films avec Timothy Dalton dans le rôle principal. Un Bond dur, fragile et même amoureux !
L'histoire d'amour ne peut que toucher, tellement elle est forte. Trop rapide disent certains … pourtant elle ne se dénoue qu'après une heure et demi de film et surtout il arrive plusieurs péripéties pendant ce temps. Détaillons d'ailleurs la logique interne d'une de celle-ci et profitons en pour jeter un regard à la richesse des symboliques tissées dans la trame de l'histoire, elle-même en analysant le centre du film qui conduit au final à l'amour entre les deux personnages principaux.
Ce texte est en conséquence principalement une analyse des symboliques sociologiques, alchimiques et psychologiques présentes dans le film, culminants lors de la scène de torture.



Analyse de la scène-pivot du film



La proposition est faite ici d'analyser le centre du film, c'est à dire la scène de jeu et surtout celle de torture pour comprendre qu'elles sont les rouages symboliques qui font qu'elle sont fascinantes pour une bonne partie du public. Pour cela on montrera dans le même temps ce qui se passe à l'écran et ce qui se passe dans la compréhension et dans le changement interne au héros, qui est au fond, un processus alchimique. En changeant les éléments qui nous entourent, on se change soi même et inversement. Citons la formule alchimique "Etre dans toutes choses et que toutes choses soit en soi".
Si James Bond est mis sur la trace du Chiffre c'est par M, sa Mère (dans le roman de Fleming M fait office de parents, c'est un homme qui s'appelle M, la manière dont l'auteur nommait sa mère) pour qu'il grandisse et cesse d'être un "instrument contendant ("blunt instrument") et gagne en recul, en maturité, qu'il prête attention à la vue d'ensemble ("the big picture").
Au moment de s'asseoir à la table de poker, il se trouve en face d'un homme qui l'affronte lors d'un combat singulier (aux cartes) et dont, après avoir perdu un première fois, il finit par triompher. Entre temps il a été empoisonné et a utilisé de l'eau et du sel pour pouvoir s'en sortir. L'eau et le sel constitue une expérience alchimique basique, premier pas donc dans la transformation intérieur du personnage. Il est fini d'être sauvé par la part féminine, représentée par Vesper. D'ailleurs ils ont chacun commencé leur transformation, de manière extérieure, de l'un et l'autre en faisant en sorte chacun que l'un et l'autre est la stature d'un homme et d'une femme en s'offrant mutuellement une tenue de soirée. La femme a pour mission de révéler l'homme et inversement. Le combat terminé, il peut savourer sa victoire avec la femme qui lui a sauvé la vie. Vient le deuxième partie.
Furieux et acculé, le Chiffre, la représentation de la part sombre du personnage, donc de chacun de nous qui d'identifions au héros, décide de kidnapper Vesper, c'est à dire d'arracher la part féminine du héros. Il ne le fait pas par désir ou jalousie mais par calcul. Il souhaite obtenir le code de 007 qui lui permettrait d'atteindre les millions dont il a cruellement besoin. Notons ici que Le Chiffre calcule comment obtenir un code, une suite de nombre donc, d'un homme qui porte lui même un numéros, 007, tout cela pour obtenir une autre suite de chiffres sur un écran, les millions. Il s'agit donc d'une problématique portant sur une clé numéraire, et nous le verrons, une manière de comprendre la mathématique universelle et donc celle interne aux humains.
En effet Le Chiffre enlève et torture Bond en le menaçant de tuer Vesper, donc d'effacer son côté féminin. Il est torturé de plus de manière très particulière. Le Chiffre frappe ses parties génitales à l'aide d'une corde nouée à son extrémité. Il est attaché et ne peut donc bouger. Ceci l'oblige à prendre des décisions et donc à faire des choix importants, à se transformer. En frappant à cet endroit précis il menace également sa virilité, et même tout l'univers, car les "œufs" touchés par le Chiffre permettent la création de la vie grâce à la force vitale qu'ils contiennent. Le Chiffre met donc en danger à la fois la féminité et la virilité, le Yin et le Yang. Comme James Bond est le représentant de la virilité brute ("blunt instrument") il ne révèle pas le code à sa nemesis. Ce code est la clé mathématique qui permet de comprendre les interactions universels. Il est le prénom Vesper (donc la part féminine du Soi) qui permet de ramener l'argent gagné (c'est à dire l'or, la lumière intérieure) obtenu à force de souffrance (donc grâce au souffre) pour enfin rétablir l'ordre en satisfaisant aux parents (M) et en procédant à sa propre complétude en réunissants ses énergies complémentaires (masculine et féminine), à la fois en lui-même et avec l'autre. Le fait que le code soit en réalité des lettres, nous montre aussi, que derrière celles-ci se cachent des nombres et donc des secrets mathématiques. Le secret que 007 connait, il veut le garder coûte que coûte.
Bond croit même triompher en disant au Chiffre que comme il n'aura jamais le code, il va finir par être découpé par ses employés qui voudront récupérer leur argent. Et là, Le Chiffre lui fait comprendre qu'il ne pourrait pas avoir plus tort, car c'est son propre service, le MI6, qui va le protéger afin d'obtenir les informations qu'il possède. C'est à ce moment là, après être passé par un processus douloureux mais purificateur au niveau micro, que le héros comprend les choses au niveau macro en se rappelant ce que lui avait dit son patron (sa mère symbolique), c'est à dire qu'il faut avoir la vue d'ensemble ("the big picture") pour mieux comprendre les choses. Il comprend là toute son erreur et le chemin qu'il lui
reste à parcourir. En revanche, il ne comprend pas encore pourquoi il va être sauvé. Le spectateur peut alors constater que les lignes sont brouillées. En effet le MI6, donc les amis de Bond, sont prêt à sauver Le Chiffre alors que l'organisation derrière celui-ci, le Quantum, sauve Bond. On traite ici encore du thème des apparents oppositions.
Au final c'est bien son propre groupe qui tue le Chiffre, c'est à dire sur le plan psychologique et symbolique, les démons qui nourrissent les peurs du héros. Il n'a dont pas encore totalement effectué sa transformation. Mais il va pouvoir tout de même trouver l'amour, qui après cette épreuve purificatrice va surgir tel un torrent pour repartir de manière aussi brutale, d'ailleurs en terminant par la mort de Vesper dans l'eau. Notons que leur idylle commence près d'un lac, autre point d'eau, plus calme et qu'ils voyages sur un bateau jusqu'à Venise, ville d'eau par excellence.
Il reste encore la question de la trahison mais celle-ci concerne plus le personnage de Vesper et serait fastidieuse et longue à traiter ici.
Certains argueront que cette analyse va trop loin. A ceux là, je ne saurais que leur conseiller de lire une biographie sérieuse de Ian Fleming ou même de lire James Bond 2(007) ou The Bond Code.



Un film complet (et cravate)



La critique de ce film ne sera pas alourdie par un texte qui s'allongerait encore de trop. Simplement rajoutons ici que le casting est excellent et que la musique de David Arnold réalise l'exploit de rester dans le ton bondien sans jouer le thème une seule fois avant la fin du film. Il se permet de distiller de temps en temps une note rappelant les thèmes anciens mais c'est bien tout.
Le générique est aussi à noter et figure parmi les plus beaux de l'histoire de la saga et du cinéma tout simplement. Il fait œuvre de simplicité et d'ingéniosité avec ses à-plats représentants des cartes à jouer et autres accessoires de casino.
Une analogie avec ceux qui ont gagner de l'argent le 12 septembre 2001, en pariant contre le marché, est tracée et ancre Bond dans la réalité et ses complots. Ici le terrorisme est à but spéculatif, pas une histoire de martyrs. Et pourtant personne n'a affublé 007 du sobriquet de "complotiste" … Voir cet article : Le délit d'initié du 11 Septembre 2001
Deux reproches pourront être fait : le premier est de lorgner trop du côté des films de Jason Bourne, avec un héros qui repère tout, qui parfois se comporte presque comme un robot, qui note tout autour de lui mais qui étrangement commet des erreurs à une table de poker … mais tout cela est fait avec humour et est de toute façon contrebalancé au milieu du film quand on entrevoit les faiblesses d'un homme qui manque d'expérience, notamment avec la thématique du "big picture" (la vue d'ensemble) que souhaite lui faire comprendre M, mère de substitution de l'orphelin 007.
Toujours par rapport à Jason Bourne, il est à noter que Vesper sombre dans les eaux de Venise comme la coompagne de Jason Bourne dans celles de Goa. La différence réside dans le fait que la première se suicide et pas la deuxième. Variation sur un thème, dirons nous. A son propos également, il est étrange de voir que Le Chiffre la laisse sur la route pour que James Bond soit obligé de l'éviter. En effet il prend le risque de tuer les deux et donc de dire adieu au numéro compte et au mot de passe par la même occasion ! Difficile de récupérer ses millions sans eux. Pardonnons, car la cascade qui en résulte a battu un record du monde
Le deuxième concerne la durée du film et d'avoir fait trop durer, peut être, certaines séquences. Pourtant cette longueur permet d'installer des ambiances spécifiques, comme celle au casino ou la romance entre Vesper et James.
Au bout du compte ces dernières remarques n'empêche nullement de profiter pleinement de la réussite qu'est Casino Royale. Pour le comprendre et pour terminer on peut faire une remarque générale : si le choix de Daniel Craig n'est pas tout à fait conforme à la description physique qu'en fait Fleming, l'utilisation de celui-ci confirme la loyauté aux allégories ésotériques utilisées par l'auteur. En effet Bond est clair (yeux, peau, cheveux) alors que Vesper est brune, le regard plus sombre. Soleil et Terre, jour et nuit, principe masculin et féminin, etc …. Les adversaires sont leur opposé. Ils ont pervertis les principes de l'Univers, les ont inversés. Le fond caché dans les romans est respecté de manière forte, que ce soit sur le plan symbolique ou politique. Rien que pour cela, il est facile de concéder qu'il s'agit là d'une belle adaptation du premier roman d'une série devenue mythique. Long live Bond.

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le 8 sept. 2015

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Fiuza

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