De la difficulté de surmonter le deuil (encore)

Après Memory Lane, un premier long métrage passé relativement inaperçu, pour lequel le producteur Luc Moulet avait dit du réalisateur qu’il s’agissait du «plus grand cinéaste français de demain», Mikhaël Hers revient aux affaires avec Ce sentiment de l’été. Ce dernier partage la même volonté d’illustrer une chronique de la vie quotidienne en plein été, à ceci près qu’il lui ajoute l’absence comme élément perturbateur. Si le premier était un film de potes suggestif, le second est un film sur la difficulté des relations à tenir dans une période post-mortem. Le cinéaste français conserve son goût pour la contemplation, la représentation d’une saison qu’il filme avec amour et plaisir au sein de laquelle errent des corps à la recherche d’un sens à donner à la vie. Si Ce sentiment de l’été ne renouvelle en rien le drame d’auteur sur fond de réflexion sur le deuil, Mikhaël Hers est suffisamment sensible et mélancolique pour emporter l’adhésion d’un public sensible à la tristesse d’Anders Danielsen Lie (Fidelio l’odysée d’Alice, Oslo 31 août).


On ne pourra nier que le film a des allures de séquelle à Oslo, 31 août, surtout quand celui-ci partage le même interprète principal. A croire qu’Anders Danielsen Lie interprète l’amoureux mélancolique à la dérive avec brio. On retrouve donc ces personnages similaires dans les deux films, différents sur la condition sociale mais liés par la même mélancolie qui les anime à longueur de journée. Ici, il doit vivre péniblement avec le deuil de sa compagne avec qui il entretenait une relation fusionnelle et artistique. C’est d’ailleurs elle que l’on suit à travers une introduction d’une poésie envoûtante. On suit cette jeune femme au réveil, le corps à moitié dénudé en train de se préparer, de se sublimer par la grâce de la lumière estivale et de se diriger vers son école d’art. Une longue introduction d’ambiance où aucun mot n’est prononcé, seul le bruit de ses pas nous guide vers son destin funeste puisqu’elle est soudainement victime d’un arrêt cardiaque et s’effondre dans un parc. C’est à cet instant que le film prend le spectateur par la main et nous indique que l’intérêt du film se porte davantage sur les relations entre les individus touchés par ce même deuil. Chacun y va de sa réaction, les uns se morfondent, d’autres en profitent pour vivre une nouvelle vie, certains la continuent sans se retourner et certains autres encore tombent en dépression. Sans jamais tomber dans le pessimisme froid et pesant, Mikhaël Hers aborde ce sujet avec poésie et finesse, de par l’atmosphère d’une saison estivale magnifiée par le parti-pris de tourner en pellicule. Plus que jamais, l’été est beau ici. Et c’est paradoxalement sa sublimation qui fait davantage prendre conscience aux personnages du vide qui les entourent. Chaque personnage virevolte à travers la vie, sans situation établie, ni projet de vie, quand bien même on a un enfant en bas-âge. Le temps passe, mais seule l’action de boire des coups sur les toits des différentes capitales apporte un tant-soi peu d’évasion et de sens à ces personnages. Dans cette optique, la ville de New York semble être le lieu ultime où les personnages errants se réunissent, partagent leurs souvenirs et sont à la recherche d’une existence.


Que ce soit à Berlin, Paris, Annecy ou New York, l’absence rattrape toujours ces personnages qui n’arrivent pas à laisser leur corps s’émouvoir dans des environnements pourtant beaux et propices à la jovialité. Peu importe la ville, on se rend rapidement compte que chaque ville agit comme un nouveau décor, une nouvelle vie mais où le modèle narratif reste le même: Les personnages se rencontrent, discutent longuement, vont en soirée et se remémorent la douleur qu’ils partagent et qui s’avère être au final le seul lien qui les unit. De là l’idée de signifier qu’il est difficile de se reconstruire quand bien même l’environnement varie et les gens autour de soi aussi. Le fait de voir une attirance magnétique entre deux personnages liés par le prisme d’un deuil commun montre à quel point le passé nous rattrape toujours. Ces personnages interprétés par Anders Danielsen Lie et Judith Chemla apportent la justesse nécessaire pour montrer cette gêne, cette retenue et ces silences qui agissent entre eux. Il y a assurément dans Ce sentiment de l’été une réussite dans la transmission des sentiments, des émotions qui les animent et de la complexité de leurs relations. Chacun réapprend à vivre à sa façon et se laisse apprivoiser par la vie et le plaisir. On pourrait presque trouver ça maladroit de conclure son film sur une scène de sexe et des plans fixes symbolisant l’évasion, mais cette manière de libérer les corps donne finalement sens à la pensée du cinéaste pour qui la vie après la mort est possible.


Comme son précédent film, à trop vouloir s’attacher à représenter le climat, l’ambiance et la tonalité de l’environnement dans lequel évolue les personnages, Ce sentiment de l’été ne raconte pas grand-chose de plus que la monotonie et la mélancolie perpétuelles de nos vies. Mikhaël Hers le fait néanmoins d’une jolie manière, par la grâce d’une lumière qui magnifie les décors et donne vie aux corps. On ressort de la projection avec le sentiment d’avoir vu un film au sujet tellement rabâché qu’il ne surprend plus mais pour lequel on lui accorde notre estime, simplement parce Ce sentiment de l’été réussit à nous redonner envie de jouir de la vie et de voir le monde, au-delà du vide qui anime nos vies.


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Softon
6
Écrit par

Créée

le 3 févr. 2016

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7 j'aime

Kévin List

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