Une femme infirme d'âge mûr et une jeune infirmière prétendant être médium observent des soldats atteints d’une étrange maladie du sommeil qui se reposent dans un hôpital de campagne installé dans une ancienne école tandis que des militaires sont occupés par un chantier menaçant de détruire l'hôpital.


Il s’agit d’un film lent, qui prend son temps dans sa manière de raconter son histoire. Il aborde de nombreux sujets : entre autre les rêves, la guerre, la maladie, les légendes...Mais ce qui était assez singulier c’est voir à quel point ce film est politique. Sans vouloir spoiler le film, beaucoup de critiques sur le gouvernement thaïlandais actuel y sont glissés avec parfois une pointe d’ironie.


Les trois personnages principaux sont tous liés les uns aux autres dans des connections plus profondes qu’il n’y parait, mêlant âmes et corps dans de troublantes scènes et dialogues. On imagine d’abord des rapports filiaux ou amicaux. En vérité, les relations et donc d’une certaine manière les personnages évoluent au fil des événements qui se produisent. J’ai été très touchée par le personnage de Jenjira. Elle est l’un des pivots du film; on rit, on est inquiet, on pourrait pleurer avec elle...Son humanité et sa réalité font que je me suis sentie très proche d’elle. C’est quelque part assez paradoxal car mis à part d'être de sexe féminin je n’ai pas le moindre point commun avec ce personnage. Je serais presque radicalement opposée. Pourtant je n’ai eu aucun problème à imaginer que son histoire aurait pu être la mienne. Peut être parce que son personnage transcende véritablement le spectateur qui se laisse absorber.


Le scénario est assez étrange dans le sens où de nombreux plans sont naturellement muets, d’autres très bavards. Il s’agit souvent de conversations qui paraissent d’abord très banales, sur des sujets de la vie de tout les jours. Mais derrière, il y a souvent un fond politique puisque le sujet des militaires revient fréquemment, à travers les soldats et les légendes qui sont racontées. L’intrigue surprend, interroge et séduit. Elle possède un ton original, une manière posée de raconter le plus étrange. Le fait que les événements gardent leur part de mystère en gardant de la simplicité était agréable. Ils ne sont pas racontées avec des entremêlements de mots compliqués et charment par leur brutalité ou leur pureté. Parfois, les répliques étaient profondément ancrées dans une réalité, parfois elles étaient délicieusement abstraites.


Les costumes sont simples et correspondent à la psychologie des personnages. Ils sont plutôt traditionnels et de couleurs ternes, excepté pour les déesses du temple qui portent des tenues plus colorées. Les décors sont tout simplement sublimes, la photographie était d’ailleurs très soignée et permet de les mettre en valeur. Il y a tout d’abord l'hôpital où se passe de nombreuses scènes. Il s’agit d’une ancienne école primaire en bois, presque composée de grandes cabanes organisées en dortoirs où reposent les malades. De jour ou de nuit on a l’impression que l’action de l'hôpital est située dans deux espaces strictement différents tant les lumières utilisées (naturelle pour la journée, veilleuses colorées pour la nuit) modifient les courbes et les angles des lieux. L’autre majorité du film se déroule dans les alentours de l’hôpital, dans son parc-forêt ou près du lac. La végétation quoique très présente n’étouffe pas le spectateur qui est libre d’imaginer les scènes décrites sur les lieux par les personnages. La bande-son est agréable. Le film m’a laissée une impression apaisante et calme à l’image du lieu dans laquelle l’action est tournée, où le sommeil est seigneur et les rêves sujets.


Si Cemetery of Splendour raconte une fiction, on sent la situation actuelle de la Thaïlande qui marque de temps à autre l’action : on ressent un éternel étouffement dès que le sujet militaire est évoqué, une envie d’ailleurs et d’évasion qui tranche avec la paisible mélancolie du film. Et cette manière qu’à le réalisateur de dénoncer abus de pouvoirs ne pouvait pas être plus belle. Le film arrache à la fois rire et malaise, les frontières de genres et de propos sont sans cessent contournées et brouillées. Je me suis sentie émue à de nombreux moments. J’ai été séduite dès le premier plan et charmée tout au long de l’histoire. J’ai aimée me souvenir des instants de ce film comme on aime se souvenir d’un long rêve. Un de ces rêve où l’on a pas forcément tout saisit mais où il nous reste de belles images et émotions.

AliceDiaz
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le 25 oct. 2016

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Alice Diaz

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