Magnifique, prodigieux, époustouflant.
Amenábar a su mettre en images le récit des années de captivité de Cervantès à Alger (de 1575 à 1580), écrit par Antonio de Sosa. C’est donc une histoire révisée et là est tout l’intérêt de cette admirable réécriture filmique. Tout Cervantès y est : texte, sous texte, récits croisés, fictions, réalités revisitées elles aussi, l’aventure, le rapport au pouvoir, le questionnement de l’autorité, les relations humaines, la fraternité, l’amitié, l’amour, les trahisons, les intérêts personnels et intérêts de classes, le ou les pouvoirs religieux et leurs représentants sur cette aride et désespérante Terre, l’homme de lettres, l’homme d’armes, les fanatiques, les tolérants, etc. En outre Amenábar nous plonge dans une merveilleuse reconstitution de la citadelle d’Alger: maîtrise de l’eau, patios, foisonnement des artisans, rencontres de cultures et du religieux, société qui permet à chacun de se construire pour peu qu’il accepte de se convertir. Amenábar nous offre une représentation distante et dure de la fosse des captifs « biens nés » ou « importants ». J’ai apprécié la musique et le travail sonore, puissant, qui se substitue aux images des tortures que les captifs subissent par exemple. Les acteurs sont tous magnifiques. Bien sûr on n’échappe pas aux clichés ou aux clins d’œil sur Don Quichotte, Sancho Panza et les moulins afin de s’adresser à tous les publics. J’ai particulièrement adoré la réflexion sur l’art d’écrire. L’homme de lettres, Cervantès, se construit en se confrontant à son internement, ses misères et tortures physiques et psychiques. Il se construit également en étant aux prises avec les questionnements de ses compagnons de captivités, les 1ers auditeurs de ses récits d’aventures que notre héros doit inventer afin d’échapper aux tourments de sa condition de captif. Cervantès le conteur sait redonner espoir à ses compagnons d’infortune en inventant des récits. Et fort heureusement son maître le Sultan, qui écoute ses récits, est un amoureux des hommes de lettres mais des inventifs, des hors sentiers battus, des originaux. Tout ce que Cervantès écrit est le travail de sa réflexion. Cervantès écrit pour être lu par tous et être diffusé ; il écrit sur une réalité puis la transforme afin qu’elle soit supportable. Car supporter la réalité, la subir et survivre aux traumas, ne mène-t-il pas à la folie sauf à maîtriser l’art de conter? Cervantès dénonçait en son temps les travers de son époque, et traitait de l’humanité et de sa complexité. C’est fou mais Amenábar nous les transmet et les réactualisent.