Le niveau zéro de la Science-fiction, et même en dessous

"Le niveau zéro de la Science-fiction", "La Science-fiction c'était mieux avant", "J'ai mal à ma Science-fiction", "La Science-fiction est en crise", "Donner du caca a des cochons", "Mais où va le monde de la SF?", "Mais de qui se moque t on?", "La défaite de la pensée SF" (copyright Alain Finkielkraut), "La fumisterie SF a un nom" (copyright moi-même), "C'EST DE LA MERDE" (copyright Jean-Pierre Coffe a égalité avec Karadoc)... J'avais en stock pas mal de titres tout à fait valables pour ce film. A l'heure où se multiplie la sous Science-fiction blockbusterienne à la Oblivion ou à la Prometheus, à l'heure où pullulent les infâmes préquels et autres énièmes adaptations à la Total Recall : Mémoires programmées ou à la La Planète des singes : L'Affrontement, à l'heure, enfin, où des films comme Avatar, Inception, Cloud Atlas ou Gravity sont considérés comme des grands films de SF -quand ce ne sont pas des chefs d’œuvres-, il est plus que temps de râler un coup vis à vis d'un des derniers avatars de la Science-fiction moderne.


Chappie partait pas gagnant avec moi dans la mesure où je suis déjà assez critique sur la pièce maîtresse de la filmographie de Neil Blomkamp, District 9, qui, s'il a le mérite d'avoir un postulat de base intéressant -la question de l'humanité d'un humanoïde posée sous l'angle d'un néo-apartheid ; la capacité profondément humaine à systématiquement discriminer autrui- et un traitement au départ quasi documentaire pertinent, fait voler en éclat toute réflexion au profit d'un scénario frénétique faisant la part belle à l'action pure et dure, une fuite en avant faite d'effets spéciaux tapes à l’œil et de pathos grossier et complaisant. A mon sens, Neil Blomkamp est avant tout un réalisateur de court-métrage de "docu-SF", qui est son format naturel dans le sens où celui-ci lui permet de poser les bases d'un concept SF souvent original dans son traitement documentaire, sans pour autant avoir à étirer / massacrer celui-ci avec un scénario d'une heure trente ou de l'action. De ce point de vue, Alive in Joburg qui préfigure District 9 a constitué pour moi la claque que celui-ci aurait dû être ; Adicolor Yellow, qui préfigure quant à lui Chappie en évoquant un robot à l'apparence humaine et à l'IA extrêmement poussée, échappé et traqué, est juste excellent ; Tempbot, un peu bancal, et Tetra Vaal, très court, préfigurent eux aussi Chappie en mettant en scène des robots plongés dans le monde du travail respectivement d'une entreprise lambda et de la police de Johannesburg, et s'en sortent bien. Tetra Vaal notamment est plus juste et artistique en 2 minutes que Chappie ne l'est en 1h54 : des images de robot - flics en routine ou en intervention filmés façon reportage, des plans quasi-contemplatifs s'attardant sur les paysages de Johannesburg ou sur la vie de rue, une voix-off d'un journaliste et le tour est joué, on rêve que ça aille plus loin.


Seulement voilà, Chappie va plus loin et va même droit dans le mur de la déchetterie des films de SF. Évoquons d'abord la colonne vertébrale, les thèmes : un robot policier expérimentant une IA parfaite faisant de lui l'égal d'un humain, ce serait une bonne idée si ce n'était pas un des poncifs les plus éculés de la Science-fiction, si de Isaac Asimov à Philip K. Dick en passant Masamune Shirow tout n'avait pas déjà été dit à ce sujet et n'avait pas été adapté à de nombreuses reprises au cinéma, avec ou sans succès, au point que je ne pensais pas que des cinéastes allaient continuer à oser remettre le couvert en passant après ceci. Ensuite, que ce robot passe par la case enfantine (coucou La Planète des singes : Les Origines) et soit imprégné d'une culture illégitime (coucou Pinocchio) serait intéressant si ces scènes d'apprentissages n'étaient fastidieusement longues et desservies par le jeu d'acteur épouvantable des Die Antwoord, au premier lieu desquels Yolandi Visser, pas crédible une seule seconde et lourdingue au possible dans son rôle maternel et protecteur. Enfin, la scène de "transhumanisme total" de la fin du film aurait pu mener quelque part si elle n'avait pas été environ 100 fois mieux exploitée à la fin de Ghost in the Shell, et si elle ne concluait pas de façon hasardeuse 45 minutes d'action épouvantables...


Évoquons ensuite l'enveloppe, soit les acteurs, les scènes et les plans : je vais la faire à la What the Cut. Pourquoi la moitié du film se déroule-t-elle dans un entrepôt au point qu'on a l'impression que le film est fauché? Ou sont passés les paysages et la relative lenteur contemplative de Tetra Vaal? Pourquoi le côté documentaire du début disparaît il toujours au profit d'une action d'une médiocrité déconcertante? Pourquoi le scénario ne repose t il que sur l’identification poussive à Chappie en nous faisant subir tous ses malheurs prévisibles et ses états d'âmes grotesques sur la bonne morale et sur le droit à la vie? Pourquoi les personnages sont ils si stéréotypés, du traditionnel pacpac ingénieur aux traditionnels gangsters ultraviolents, en passant par Wolverine ridiculement vénère, avec son néo-mulet plus que risible? Qui a eu l'idée d'attribuer des rôles principaux à un groupe de musique au jeu d'acteur abominable, tout en balançant sa discographie ad nauseam? Pourquoi le film est il en prime une pute à placement de produit Sony? Pourquoi, en plus d'être un sous-film de Science-fiction, Chappie est il un film d'action nanardesque, à l'image de la confrontation finale avec Wolverine qui ferait bien rire si elle ne faisait pas pleurer? Pourquoi ces effets visuels putassiers types ralentis si ce n'est pour confirmer que tes goûts font que tu ne dépassera jamais le niveau d'un réalisateur de clip, Neil Blomkamp (Je pense notamment à ce ralenti où Chappie se prend un cocktail Molotov : ça m'a fait penser à quel point Daft Punk's Electroma est au dessus dans cette volonté de susciter l'empathie avec un robot)? POURQUOIIIIIIIIII?


J'ai entendu de ci de là qu'il fallait, en gros, voir ce film comme un hommage au cinéma SF des années 80 -le mulet sans doute- ne se prenant pas au sérieux. Mais d'une part, comment un film de Science-fiction peut il ne pas se prendre au sérieux, alors que la Science-fiction est par nature profondément politique en ce qu'elle produit un discours critique sur la société actuelle à l'aune d'une vision futuriste de celle-ci? On peut rire avec un film de SF quand c'est aussi une comédie, comme avec Le Cinquième Élément, quand ce n'est pas le cas et qu'on rit de lui c'est plus inquiétant. D'autre part, sans faire l'affront de rentrer dans des comparaisons avec Robocop, ce n'est pas parce qu'un film reprend artificiellement (C'est pas moi qui le dit c'est Veather) des éléments de la SF d’antan qu'il faut lui pardonner le fait qu'il soit abominable dans ce qu'il propose de nouveau. Au contraire, ce mécanisme serait plutôt révélateur d'un aveu d'échec, de l'écartèlement de la SF actuelle entre incapacité à réinventer des thèmes SF forts et nouveaux, et facilité consistant à faire dans le vulgaire blockbuster, quand ce n'est pas, ici, dans le publicitaire outrageux. Ne laissons pas le blockbuster piétiner la Science-fiction! Chappie, ce n'est pas le niveau zéro de la Science-fiction, c'est même en dessous.

DoubleRaimbault
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le 10 juin 2015

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