Après les égarements numériques d'un quatrième volet d'Indiana Jones bien inégal et d'une adaptation sans âme, sans doute surestimée, des Aventures de Tintin, Steven Spielberg retrouve enfin son aura d'immense cinéaste populaire en nous offrant avec Cheval de guerre un film magnifique, aux accents délicieusement rétro, doublé d'un vibrant hommage aux grandes fresques d'antan. C'est avec des yeux d'enfants émerveillés que nous suivons le périple chaotique de Joey, cheval de ferme devenu monture de guerre par des circonstances tragiques (éclatement de la Première guerre mondiale), arraché de force à son Devon natal et son jeune maître Albert, passant d'un camp à un autre, de propriétaire en propriétaire (un officier de l'armée anglaise, une gamine française...) au gré des convulsions de l'histoire.

Bâti sur un galop dramatique incessant, porté par un casting aussi habité que généreux (Emily Watson, Peter Mullan, Benedict Cumberbatch, Niels Arestrup, David Thewlis...) et une composition musicale somptueuse du fidèle John Williams, traversé par des morceaux de bravoure tour à tour éprouvants et épiques (une charge de cavalerie qui tourne à la boucherie, une offensive anglaise cauchemardesque, la traversée enfiévrée de la ligne de front par le cheval Joey...), Cheval de guerre renoue avec la tradition des grandes fresques hollywoodiennes. Spielberg parvient à nous transporter en nous offrant un grand film à l'ancienne, d'une beauté visuelle miraculeuse (couleurs flamboyantes, charme discret du frémissement argentique), d'une belle ampleur romanesque et d'une force de suggestion parfois suffocante (une terrible mise à mort filmée de derrière les pales d'un moulin...), un film pétri de valeurs simples mais toujours touchantes, qui nous parlent sans cesse et nous frappent en plein cœur, jusqu'aux larmes. Un film humain, à regarder sans cynisme aucun, à des années lumière de la froideur virtuelle des Aventures de Tintin. Un retour aux sources salutaire pour l'auteur inspiré d'Empire du Soleil et de La Liste de Schindler.

S'écartant volontairement de la grande route de l'histoire pour en explorer les interstices et y déployer une fiction, une vision personnelle fondée sur l'humain, Cheval de guerre, comme tous les autres films de son auteur s'appuyant sur un fond historique, n'est en rien une fresque sur le premier conflit mondial, mais plutôt un regard particulier explorant les zones d'ombres – et de lumière – de ce conflit, à ceci près que ce regard est celui de Joey, le fameux cheval du titre. Spielberg construit ainsi, pour la première fois dans son œuvre, un fil rouge dramatique épousant le point de vue d'un animal. Évitant habilement les écueils de l'aventure animalière (notamment son caractère a priori infantile), le cinéaste filme le cheval comme un objet de fascination universelle, un être miroir (image saisissante d'une silhouette d'enfant reflétée dans l'œil de la bête), un symbole majestueux de communion, à la fois actant tragique du théâtre de la guerre et vainqueur de la barbarie, révélateur paradoxal d'éclats d'humanité au cœur même des ténèbres.

Car ce qui intéresse Spielberg, via la mise en scène du cheval, c'est toujours l'humain, ou plutôt ce qui reste de l'humain – sa lumière – dans un contexte aussi noir et violent que celui de la guerre. Un thème qui lui est cher. C'est en revenant aux sources d'un cinéma profondément humain et résolument artisanal, au sens noble du terme, que Spielberg renoue enfin avec l'émotion fédératrice, cette innocence un rien désenchantée, qui a forgé sa légende. La preuve vivante qu'il est encore possible de faire de bons films dans de vieilles casseroles, mais surtout de rendre hommage aux anciens tout en affirmant son propre talent. Avec les dernières images de Cheval de guerre, d'une sérénité bouleversante, c'est tout son amour du cinéma que Spielberg partage avec nous, un cinéma simple et puissant qu'il nous donne sans compter. De la lumière, de la musique et des hommes... Et une innocence retrouvée. Tout simplement le plus beau film de ce début d'année.
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le 24 févr. 2012

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