"Présenté en clôture de la Mostra de Venise 2025, Chien 51 dresse le portrait d’un Paris dystopique, asphyxié par les inégalités sociales et régi par une intelligence artificielle omnipotente. Un futur proche où la fracture sociale n’est plus une métaphore, mais un système officiel, algorithmisé, assumé. Mais Cédric Jiménez, malgré une ambition visuelle évidente et une vraie volonté de cinéma, échoue à donner à sa dystopie la profondeur politique et émotionnelle qu’elle exige, livrant un film d’anticipation qui reste trop en surface pour pleinement convaincre."
"Jiménez quitte son Marseille natal pour « défigurer » la capitale, s’attaquant pour la première fois aux codes exigeants de la science-fiction. Adapté du roman éponyme de Laurent Gaudé (auteur de La Mort du roi Tsongor), il structure son récit autour d’un Paris divisé en trois zones étanches : la première pour les riches ainsi que les hommes et femmes de pouvoir, la seconde pour la classe moyenne, utile au système, et la troisième pour le milieu populaire, les immigrés et les plus pauvres. Ce découpage, certes caricatural, s’inscrit dans une logique de spatialisation des inégalités déjà perceptible aujourd’hui. Le cinéaste le pousse simplement à son extrémité logique. Il ne crée pas un futur, il l’amplifie. Dans cette volonté d’augmenter la réalité, comme il aime le dire lui-même, il parvient à composer un univers crédible sur le plan visuel : architecture froide, interfaces numériques omniprésentes, surveillance étouffante. La photographie glacée de Laurent Tangy, rappelant Blade Runner et Les Fils de l’Homme, appuie ce sentiment de confinement, d’effacement progressif de l’humain."
"Chien 51 illustre malgré lui les limites encore trop visibles du genre hexagonal : incapacité à assumer la radicalité, peur de sortir des sentiers battus, et surtout, manque cruel de travail sur l’architecture narrative. Et pourtant, les idées sont là. La façon dont les médias alimentent l’illusion d’une ascension sociale, l’aliénation des individus via les données personnelles, la privatisation de l’intelligence artificielle par des entreprises opaques : autant de pistes que le film effleure sans jamais les explorer."
"Chien 51 s’inscrit dans une représentation de l’intelligence artificielle figée dans un héritage daté, celui de Terminator. Le film semble incapable de dépasser cette vision manichéenne et anxiogène, là où d’autres, à leur échelle de série B (I, Robot ou Companion), parviennent à jouer avec les codes pour mieux les subvertir, en injectant du doute, de l’ambiguïté, voire de la satire. Chien 51, en refusant cette complexité, reste prisonnier d’un schéma où la machine est systématiquement l’antagoniste, jamais une extension problématique de l’humain. Quelques fulgurances visuelles subsistent : des citoyens symboliquement menottés au système, les yeux perdus dans des interfaces publicitaires, ou des plans fixes sur des bases de données labyrinthiques que des activistes menés par John Mafram (Louis Garrel) tentent de faire tomber. Mais l’univers cyberpunk de Jiménez s’effondre sous ses incohérences : trop de personnages esquissés, trop peu d’explications sur le fonctionnement politique et administratif de ce Paris futuriste. Le spectateur erre, comme les protagonistes, sans boussole."
"La relation entre Salia (Adèle Exarchopoulos) et Zem (Gilles Lellouche) aurait pu être le noyau émotionnel du film. D’abord antagonistes, leurs trajectoires s’entrelacent, jusqu’à prétendre incarner une humanité retrouvée dans un monde déréglé. Mais leur lien sonne faux, comme dicté par une nécessité scénaristique plus que par une logique interne. Lellouche, solide, compose un flic désabusé, fatigué mais encore capable d’une forme d’empathie. Exarchopoulos, elle, peine à incarner la complexité de son personnage mi-humain mi-machine, visiblement inspiré du Major de Ghost in the Shell, mais sans la charge existentielle qui en faisait toute la force. [...] L’émancipation de son personnage, pourtant centrale, reste un point aveugle du film."
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