Los Angeles,années 30.Le détective privé J.J. Gittes est chargé par une certaine Evelyn Mulwray d'une mission de routine consistant à vérifier si le mari de la dame,par ailleurs ingénieur en chef du Service des Eaux de la ville,n'entretiendrait pas une liaison avec une autre femme.Gittes fait le boulot mais s'aperçoit vite que cette histoire n'est pas nette.La madame Mulwray qui l'a engagé n'est pas la vraie,le mari infidèle meurt noyé et des tas de magouilles bizarres sont en cours autour de l'exploitation de l'eau alors qu'on est en pleine sécheresse."Chinatown",jalon notoire du detective movie,relève du polar néo-noir et se situe entre l'ancien et le nouvel Hollywood.C'est aussi un film emblématique de la mythologie de L.A. et de la Californie,plus une préfiguration des romans d'Ellroy ou Connelly qu'un successeur des histoires de détective à la Bogart avec lesquelles il a pourtant beaucoup à voir.C'est Robert Evans,ex acteur devenu producteur,qui a impulsé le projet et a coproduit avec la Paramount un scénario signé Robert Towne,futur réalisateur,inspiré des guerres de l'eau californiennes du début du 20e Siècle.Les deux Robert ont choisi de confier la réalisation à Roman Polanski,qui vivait alors en Italie et n'avait guère envie de revenir aux States cinq ans après l'assassinat de sa femme enceinte Sharon Tate par Charles Manson et sa bande de dingos,évènement qui avait en plus eu lieu à L.A. même.Il s'est pourtant laissé convaincre et a signé là sa dernière oeuvre américaine,s'enfuyant pour toujours du pays en 78 suite à l'affaire du viol de l'adolescente Samantha Gailey survenue en 77 et qui l'avait conduit en prison.Le film est un magnifique adieu aux USA et s'avère être un des fleurons de sa filmographie.Tout a été bordé de manière exceptionnelle afin d'aboutir à une sorte de chef-d'oeuvre du film noir.Les décors de Ruby Levitt recréent de façon bluffante l'esthétique des années 30,la photo de John Alonzo utilise à merveille un Technicolor contrasté,et la musique enveloppante d'un Jerry Goldsmith à son meilleur achève d'installer l'ambiance.Il est souvent reproché à "Chinatown" une relative lenteur,mais elle fait en réalité partie du charme d'un film qui respire la coolitude,Polanski parvenant à y imposer son sens de l'étrange et mélangeant parfaitement la décontraction feinte d'un personnage et d'une intrigue complexes à une tension continuelle qui préserve l'aspect dramatique de l'oeuvre.Ca prend son temps mais c'est agréable de se balader nonchalamment d'un point de la ville à l'autre,des bureaux de Gittes à ceux du Service des Eaux,d'un lac où l'on canote à une cour discrète,des arcanes des patios aux superbes villas de style espagnol,d'une rivière à sec à une orangeraie en difficulté,du bord de mer à un barrage sous haute surveillance,pour finir dans ce quartier chinois où cet ancien flic ne veut surtout pas revenir,miroir peut-être de ce pays que Polanski voulait éviter et où il n'aurait effectivement pas dû remettre les pieds.Gittes est un détective dans la grande tradition,malin et teigneux,qui ne lâche jamais l'affaire quitte à subir quelques menues violences.Et là il se trouve mêlé à un sacré sac de noeuds qui le dépasse largement.Le problème de l'eau en Californie est récurrent et n'est toujours pas résolu,comme en témoignent les récents incendies qui ont notamment mis en relief un couple de milliardaires exploitants agricoles qui monopolisent une grande partie du précieux liquide.On plonge donc à la suite de Gittes dans un combat sans pitié pour le contrôle de l'eau,et tous les coups sont permis.Tout est lié aussi,Mulwray étant le fondateur du Service,associé au père d'Evelyn.Deux hommes amis et collègues,jusqu'au jour où leurs différences les ont séparés.L'opposition est d'ailleurs assez radicale entre un Hollis qui est le Bien personnifié et un Noah Cross qui est une ordure intégrale.Le premier est parvenu à rendre le Service public,au grand dam du second,peu satisfait de voir son gendre et ex pote l'empêcher de se goinfrer sur la flotte.Noah,nabab de la Vallée,s'arrange pour détourner l'eau,ruinant les propriétaires et achetant les terres à vil prix en utilisant des prête-noms pas au courant de la manip vu que ce sont de vieux pensionnaires d'une maison de retraite.Alors ça ne va pas toujours très vite,mais il se passe quelque chose à chaque scène,aucune n'est jamais vide ou inutile,et l'histoire est passionnante de bout en bout,avec quelques séquences purement anthologiques comme celle où Jake gifle Evelyn à la volée et lui en recolle une à chaque fois qu'elle dit "c'est ma soeur!" ou "c'est ma fille!",jusqu'à ce qu'il comprenne enfin quelle terrible vérité elle est en train de lui avouer,car ce drame repose in fine sur des bases sordides.Et J.J. perdra son nouvel amour comme il avait perdu le premier,à Chinatown.L'interprétation est premium,avec en vedette un Jack Nicholson prodigieux en enquêteur têtu qui s'en prend plein la gueule mais insiste.Il reprendra ce rôle en 90 dans "The two Jakes",une suite qu'il réalisera lui-même,écrite à nouveau par Towne.Faye Dunaway est merveilleuse dans l'emploi classique de la femme fatale,apparence trompeuse s'il en est car Evelyn est une véritable héroïne et une victime combative,le personnage le plus moral de cette horrible histoire.On se rend compte de ce que lui doit Jessica Rabbit,du reste le film de Zemeckis a beaucoup pioché dans le Polanski,et Toonville c'est Chinatown.John Huston,qui a parfois fait le comédien,est très à l'aise en fumier de compète,son air avenant et patelin faisant froid dans le dos lorsqu'on connait la noirceur de son âme.Les seconds rôles sont tenus par des acteurs pas célèbres mais tous excellents.Il y a Perry Lopez en flic conciliant,John Hillerman,connu pour la série "Magnum",en fonctionnaire pas fiable,Darrell Zwerling en époux d'une droiture remarquable,Roy Jenson en brute épaisse et Burt Young,le beau-frère de Rocky,en mari cocu et pas content,et Polanski lui-même surgit brièvement mais de manière saisissante en petite frappe sadique.On a également James Hong,encore en activité à 96 ans et vu récemment en patriarche à l'ouest dans "Everything everywhere all at once",en domestique fidèle,plus Rance Howard,le père de Ron et Clint,le grand-père de Bryce Dallas,en agriculteur énervé.Seule Diane Ladd,la mère de Laura Dern et femme de Bruce Dern,gâche un peu la fête en fausse Evelyn car elle est décidément trop vulgaire.Eh oui,c'est curieux mais deux des actrices de "Jurassic World" sont des descendantes d'acteurs de "Chinatown",c'est ce qu'on appelle de la dynastie.Notes et critiques de films de Roman Polanski publiées précédemment:"D'après une histoire vraie"-3,"The ghost writer"-7.Moyenne:6,3.

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le 12 juil. 2025

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