Premier long-métrage d’Antonioni, donc forcément que son style ne s’est pas encore aiguisé comme il le fera par la suite (bien que le seul autre que j’ai vu de lui, pour l’instant, soit Blow up). Mais beaucoup de choses posent problème dans ce Chronique d’un amour. Le principal est inévitablement celui du traitement du temps dans le film. Passé et présent se confrontent dans une recette qui nous est maintenant familière, où une personne pourrait avoir un passé plus trouble que prévu et où, justement, ce dernier refait surface. Là où le passé prend un tout autre poids, c’est quand on se rend compte que le film se situe durant l’après-guerre, soit dans une Italie où les séquelles urbaines de la guerre sont encore bien visibles.


Sans non plus tomber dans une approche néo-réaliste de son sujet, Antonioni évoque dans un dialogue le fait que le pays soit encore en ruine, ou que Guido, l’homme refaisant surface auprès de Paola, une femme ayant épousé la bourgeoisie (et un homme riche) en 1943, ait ses finances tout aussi délabrées. Il y a donc un passé, celui de la guerre, celui d’une mort mystérieuse impliquant de manière relativement floue Guido et Paola ; puis le présent, où ces deux personnages ne font plus partie du même monde, et où de manière générale le monde s’est séparé en deux. Antonioni dispose ces éléments dans son film de manière explicite, ce sont les personnages qui le disent et qui, par la même occasion, l’expliquent au spectateur. Cela vient combler un vide, celui de la mise en scène et de la délicatesse.

La recherche du passé est trop importante, trop littérale. Le personnage du détective privé est un symptôme de cet échec de matérialisation du secret. Les séquences où il apparaît ne servent qu’à faire avancer le scénario, à simplement recoller les bouts d’une histoire qui, à la fin du film, ne procure aucune véritable sensation. Tout est cadré, a un début, un milieu et une fin et rien ne déborde. À vouloir trop expliquer un passé (ou du moins le faire mal), on en dénature le présent, qui n’est pas mieux traité.


Tout plan n’est là que pour rendre encore plus visible ce que les dialogues tentent pauvrement d’expliquer, et échoue à rendre consistant ce qui mériterait un peu plus d’attention. Le film manque cruellement de plans de la ville, ou du moins de plans ne dépendant pas des personnages. Il se mure dans son cadre, et fait du cinéma. Jamais la caméra ne vient disséquer ces bourgeois ayant prospéré malgré la 2nde Guerre Mondiale, et quand on peut en apercevoir une ébauche, comme quand Enrico, le mari de Paola, négocie des affaires avec des associés, tous les autres thèmes s’effacent. Ce défaut est très récurrent, particulièrement dans les premières œuvres, où le cinéaste va construire ses séquences indépendamment, où l’une va exclusivement parler d’un thème, l’autre d’un thème suivant etc. Ce collage de saynètes ne constitue pas un film, il montre un objet sans saveur, sans marque dans le temps.

NocturneIndien
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le 21 juil. 2022

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