Alain Resnais n’en finira jamais de nous éblouir. Il signe avec « Cœurs » l’un de ses films les plus personnels et le plus fort depuis quelques années. Profond et malicieux, il nous parle autant par ses frasques que par la mélancolie omniprésente planquée au coin d’un décor.

Sa mise en scène, en plus d’être, comme à l’habitude, très réfléchie et précise, prend des envolées espiègles donnant à l’ensemble un aspect aérien propice à ce chassé croisé permanent des personnages. Le scénario tient également de l’exquis. Il est taillé comme un diamant dont chaque facette reflète limpidement un éclat de rire ou de pleurs, qu’il diffuse au gré de dialogues incisifs.

Cette grâce est complétée par une interprétation qu’on ne présente plus. Il s’est entouré de ses acteurs fétiches auxquels vient s’ajouter Isabelle Carré et Laura Morante. Toutefois, il y avait très longtemps qu’Azéma, Arditi et Dussollier, le trio de fidèles de « Mélo », n’avaient atteints de tels sommets de justesse et d’émotion.

Mais de quoi nous parle « Cœurs » ? De femmes et d’hommes emprisonnés dans leurs vies, par leur passé, par ce siècle… Ils se rencontrent ou croisent sans se connaître, ouvrent une brèche dans leur solitude, réveillant l’espoir d’une vraie vie pleine d’amour, de tendresse de l’autre. Mais le parcours est difficile, leurs existences sont figées comme cernées par l’hiver. D’ailleurs, Resnais renoue ici avec la symbolique de la neige présente dans « L’amour à mort » qui articulait déjà la scénographie. Ce n’est pas d’ailleurs la seule référence à ses précédentes œuvres, on pense entre autre à « Mon oncle d’Amérique » ou « Providence ».

Cette pléiade de personnages est intentionnellement décalée dans notre monde actuel, la lumière qui les accompagne est diaphane ou voilée. Ils sont en quête d’un espoir qui gît dans leur passé et peu opportun à l’avenir. Comme signe de la fin d’une époque. Et l’on s’interroge alors sur les intentions de Resnais… A un point tel que l’on pourrait considérer « Cœurs » comme un film testament. Si tel n’est pas le cas, il n’en reste pas moins vrai que c’est un chef d’œuvre.
Fritz_Langueur
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le 11 sept. 2014

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