Qui est le film ?
Columbus est le premier long-métrage de Kogonada, cinéaste et essayiste visuel venu du champ du montage. Son nom circulait déjà pour ses vidéos-essais consacrées à Ozu, Kubrick ou Tarkovski. Son passage à la fiction garde la même rigueur formelle : il choisit la ville de Columbus, dans l’Indiana, haut lieu du modernisme architectural américain, pour en faire le théâtre d’une rencontre.
En surface, l’histoire est simple : le fils d’un éminent théoricien de l’architecture arrive de Séoul car son père est dans le coma. Une jeune femme, passionnée d’architecture mais retenue auprès de sa mère, l’accompagne dans l’attente. Promenade après promenade, un lien se tisse. Mais le film ne promet ni rebondissements ni drame spectaculaire. Il propose d'apprendre à regarder, et à habiter le temps.
Que cherche-t-il à dire ?
Kogonada déplace notre attention du récit vers le regard. Columbus n’est pas un film qui consomme les lieux, il les laisse résonner. Les bâtiments modernes deviennent des interlocuteurs, des surfaces où viennent s’inscrire émotions et pensées. Chaque échange entre Casey et Jin redouble une question adressée à l’architecture : que soutient une structure ? que laisse-t-elle passer ? qu’abrite-t-elle ? Ce qui se joue n’est pas la résolution d’un drame, mais l’apprentissage d’une éthique de l’attention. Le projet du film consiste à nous montrer que voir, au sens fort, demande de la durée et de la disponibilité.
Par quels moyens ?
Plutôt que d’organiser une montée dramatique, le film choisit la suspension. La crise est déjà advenue (le père hospitalisé, la mère dépendante) et il ne reste qu’à vivre avec. Ce refus de la dramaturgie forcée déplace l’intérêt : moins vers ce qui va arriver que vers la manière d’habiter l’instant.
Les cadres sont souvent frontaux, symétriques, laissant les lignes architecturales se déployer avec calme. Les personnages s’y insèrent comme des figures modestes, ni écrasées ni héroïsées. L’espace devient un langage, où les murs et les vides participent à la conversation.
Plans fixes, hauteurs de caméra modestes, transitions par des objets : Kogonada reprend des gestes ozuviens, mais non pour les citer. Il les réinscrit dans un contexte américain, au milieu des bâtiments modernistes.
Casey vit dans la tension entre son goût, sa compétence, et son attachement à sa mère. Le film ne moralise pas ce dilemme. Il le filme comme une économie affective et sociale : ce que la fidélité permet, ce qu’elle empêche.
Jin traduit les propos de son père sans parvenir à traduire leur lien. Cette difficulté résonne avec la question plus large de la transposition : comment passer d’un plan à l’autre, d’une forme à un sentiment, d’une fidélité à une décision ? Chaque bâtiment devient un dictionnaire, une tentative d’équivalence entre structure et émotion.
Où me situer ?
Ce qui me touche dans Columbus, c’est sa modestie ambitieuse. J’admire la manière dont Kogonada fait tenir, dans une mise en scène calme, des questions immenses : le soin, la fidélité, la transmission, la possibilité d’un départ. J’aime que l’architecture ne soit pas filmée comme un décor, mais comme un partenaire moral. Le risque, peut-être, est que cette exigence décourage un spectateur en attente de mouvement. Mais je crois que cette lenteur est précisément le geste du film : une pédagogie du regard, qui suppose la patience comme condition de pensée.
Quelle lecture en tirer ?
Columbus n’est pas un film « sur » l’architecture, mais un film qui s’en sert pour inventer une méthode : regarder mieux, nommer ce que l’on aime, transformer l’admiration en choix. Ce qu’il raconte de ses personnages se traduit dans une forme cinématographique qui refuse la vitesse, qui préfère le voisinage patient des choses. Dans une époque saturée d’images rapides, Columbus rappelle que la lenteur peut être un acte critique, et que la beauté a encore le pouvoir discret de soigner.