(d'après mon article sur Kultur in Nanzig : http://kulturinnanzig.blogspot.fr/2015/12/comment-cest-loin-detre-une.html)
Je l'avoue d'entrée de jeu, je suis un fan d'Orelsan. J'aime son côté provocateur, ses réflexions décalées sur le monde, cet énergumène semi-blasé tantôt loser tantôt superhéros. Sans cette admiration, je n'aurais indubitablement pas attendu ce film avec autant d'impatience. Mais en le visionnant, j'ai été agréablement surpris de découvrir quelque chose de bien plus complet qu'une autobiographie fantasmée, comme il aurait été aisé et convenu d'en produire une...
En quelques mots : en cinq ans, les rappeurs Orel et Gringe n'ont pas écrit une seule chanson. Leurs producteurs, excédés, leur donnent un jour pour en écrire une. Mais quand on passe sa vie à tout repousser au lendemain, pas facile de trouver la motivation. « J'suis tellement fatigué d'être fatigué que quand j'commence à rien faire, j'ai la flemme de m'arrêter » comme dit Gringe… Vous avez dit procrastination ? Ce grand mal de notre temps est en effet au centre du film, accompagnant d'autres notions voisines : la peur de l'échec, la tyrannie de la routine, la médiocrité pas vraiment assumée… Autant de sujets à explorer en une heure et demie.
Où s'arrête la réalité, où commence la fiction ? Le film reprend les personnages d'Orelsan (Aurélien Cotentin) et Gringe (Guillaume Tranchant), formant à eux deux le groupe des Casseurs Flowters, et les met en scène dans diverses situations renvoyant de temps en temps à leurs titres. Quelques clins d'oeil pas trop lourds voire bien cachés flatteront le fan averti. Mais l'univers présenté est une sorte d'uchronie où Orelsan n'aurait jamais percé et n'aurait rien produit depuis un freestyle remarqué. Pas de parcours d'ascension, pas d'histoire d'un succès… Juste l'histoire touchante de deux rappeurs pas très motivés pour écrire un nouveau texte. Par extension, on entrevoit le portrait d'une génération un peu paumée, cherchant sa place dans un monde où le travail est synonyme de fardeau.
Pas mal de scènes drôles (l'arrêt de bus, le passage à Wonder Cash), des (anti-)héros attachants pour qui on ressent une certaine empathie à cause de l'urgence (relativisée) de la situation, des personnages secondaires sympathiques (Claude le roublard et le fan bien alcoolisé)… On notera un Orelsan et un Gringe particulièrement convaincants dans leurs rôles respectifs d'Orelsan et de Gringe. Au-delà des fans, « Comment c'est loin » plaira à tous ceux qui aiment l'esprit « Bloqués », c'est-à-dire ce mélange de réflexions socio-philosophiques et de médiocrité sublimée. On ressort de la séance avec l'envie de faire des projets, c'est cool. « L'avenir appartient à ceux qui s'lèvent à l'heure où j'me couche... »