On pourrait se croire dans La Poursuite Impitoyable, avec un Stallone plus mou que Brando, mais bon...


Un flic loser, un raté puisqu'il n'a pas pu intégrer le NYPD et réaliser son rêve, se réveille un jour et décide d'appliquer enfin la loi dans sa ville. Sa ville, Garrison, est toute particulière: les flics ripoux de New York (dans ce film, tous les flics sont des ripoux sauf Robert De Niro) s'y sont en effet installés grâce à des passe-droits de la mafia, et maintenant sont redevables de la mafia, qui dicte leurs moindres faits et gestes. Il est intéressant de donner un sens à la corruption: en fait il n'y a pas vraiment de méchants, simplement des pères de famille qui voulaient des maisons pour leurs gosses, c'est tout. La voix-off au début du film le dit: les flics ne voulaient pas habiter Manhattan et voulaient être tranquilles.


Seulement voilà: cette corruption tranquille, après tout motivée par de sains objectifs, a ses limites: quand un flic (un gosse, en fait) tue deux jeunes noirs (les afro-américains sont très peu représentés dans le film, sauf pour les rôles de gangsters), cette petite mafia qu'est Garrison décide de faire passer pour mort le jeune garçon. Tout est passionnant dans cet incipit jusqu'à ce qu'on comprenne que l'inspection des services (incarnée par DeNiro) connaît la vérité, et que Stallone le shériff de Copland va hésiter pendant tout le film. C'est donc un film sur l'hésitation, le doute, avec flash-backs en prime nous montrant qu'en fait, au fond de lui et au fond de l'eau, Stallone est un vrai héros puisqu'il a sauvé une jeune femme de la noyade alors qu'il était adolescent.


Si le personnage de Stallone et peu intéressant car trop manichéen (tout est bon en lui), et ceux de Harvey Keitel et Robert Patrick caricaturaux (ils sont très mauvais), il faut remarquer Ray Liotta qui apporte au film sa dose d'intelligence: c'est un insider, un vrai policier, mouillé dans les sales histoires du chef de clan Keitel. Mais c'est un dégoûté et un aigri. Ce qui sauve ce personnage, la caricature du shériff aigri et badass à la Dirty Harry, c'est d'une part son humanité et d'autre part son côté obscur: il crame lui-même sa maison pour pouvoir se barrer, et se barre comme un lâche quand ça sent (haha) le roussi. Personnage torturé, on le voit dans un débat intérieur très crédible, qui fait de ce personnage quelqu'un à qui on peut s'identifier, tant sa lâcheté et sa corruption vont de pair avec son intégrité et son courage. Alcoolique, extraverti, il n'est pas que le simple sidekick de Stallone, et il le pousse à agir. C'est pour moi le meilleur personnage parce qu'il aime les flics, et le dit en parlant d'un flic tué par le système ripoux et adepte des méthodes brutales: "ça, c'était un vrai flic".
Dans ce film anti-flics, sans nuance quant aux représentants de la loi, Liotta fait du bien: ce n'est ni un mou, ni un lâche total, ni un ange comme Stallone et DeNiro.


Ce film n'est pas un film sur les flics, ni sur la corruption dont les mécanismes sont à peine effleurés. C'est un film sur un quartier et sur un homme solitaire, Stallone, entouré de lâches. C'est pour cela que l'on peut rapprocher ce film de ce très grand film qu'est La Poursuite Impitoyable d'Arthur Penn: petite ville peuplée d'hypocrites bourgeois, frilosité, fêtes dangereuses où le crime est l'antidote à l'ennui. Mais là où La Poursuite Impitoyable montre les fêtes, les lynchages et un shériff se faisant passer à tabac, voyant trouble quand le sang lui coule sur le visage, là où ce film prend tout le temps de montrer la violence et la lâcheté, Copland va vite, trop vite: la scène finale où Stallone décide de tuer les ripoux est très réussie, mais pourquoi ne pas s'attarder sur les sensations de Stallone alors qu'il n'entend plus rien, pourquoi ne pas faire durer un peu le suspense au lieu de tuer Robert Patrick en deux coups de revolver?


Selon moi la différence entre Copland, film mineur, et La Poursuite Impitoyable, oeuvre majeure du cinéma, c'est que La Poursuite Impitoyable ose montrer la violence et assumer son propos (le quotidien d'une petite ville WASP rongée par l'ennui, réveillée de sa torpeur par l'annonce qu'un criminel est en fuite), tandis que Copland ne sait que montrer des personnages, sans illustrer d'environnement, sans placer ses personnages au coeur de la violence.


Pour un film avec des flics, et des flics new-yorkais, Copland est un film bien fade. La Nuit nous appartient (de James Gray) est un bon contre-exemple: on est happé par la violence et même modifié par les personnages dans sa vision du bien et du mal ... avec Copland le spectateur n'est pas brusqué dans ses opinions: un ripou est un ripou, et meurt à la fin.

Lanster
5
Écrit par

Créée

le 21 déc. 2017

Critique lue 1.1K fois

3 j'aime

2 commentaires

Lanster

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

3
2

D'autres avis sur Copland

Copland
Gand-Alf
7

Un pour tous, tous pourris.

Fondé en 1981 par la star Robert Redford, le Sundance Institute aura permit la confection d'une bonne poignée de films indépendants, tout en offrant une vitrine idéale pour un cinéma plus modeste,...

le 23 janv. 2017

38 j'aime

3

Copland
Ugly
9

Grabuge à Flicville

Pour son second film, James Mangold fait preuve d'une maturité et d'un savoir-faire exceptionnels. A partir d'un scénario foisonnant sur la corruption policière, Copland est un film d'atmosphère en...

Par

le 13 août 2016

37 j'aime

6

Copland
LeTigre
9

Entre choisir ses idoles ou faire respecter la loi !

Reconnu pour son travail approfondi avec sa réalisation Heavy, le cinéaste James Mangold poursuit sa carrière de metteur en scène en signant l’un des plus remarquables et violents polars noirs...

le 2 mai 2018

25 j'aime

3

Du même critique

Collatéral
Lanster
7

Un taxi nommé Désir

Je viens de voir ce film et j'ai adoré. J'aime beaucoup Tom Cruise, d'une part parce qu'il est beau, d'autre part parce qu'il sait tenir un personnage, l'habiter, par sa maîtrise de la sobriété. On...

le 11 avr. 2020

L'Inconnu du Nord-Express
Lanster
7

Pas si simple pour un passif pacifiste d'éviter un parricide

J'adorais ce film et je l'ai revu récemment: j'ai été déçu, par le rythme et par la façon de filmer. On est loin de Vertigo et ses effets de style. Ici nous sommes dans le cinéma classique, en noir...

le 30 mai 2019