Alors qu’Outsiders et Rumble Fish étaient un peu plus modestes en terme de budget, on pouvait penser Coppola assagi : après l’aventure Apocalypse Now et le désastre financier Coup de cœur, le réalisateur mégalo semble avoir mis de l’eau dans son vin californien. Le tournage de Cotton Club viendra prouver le contraire, puisqu’il dépassera le budget au point de ruiner son producteur tandis que l’échec du film ne permettra même pas de renflouer les caisses.


La grandiloquence n’est pourtant pas le maître mot de ce film, dont les dépenses sont surtout passées dans la reconstitution minutieuse du Harlem de la fin des années 20. Coppola aime le faste du voyage dans le temps, et se fait plaisir dans ces longues scènes musicales qui convoquent la crème de la scène jazz afro-américaine, dans une atmosphère électrique qui, il faut le reconnaître, est souvent très bien rendue. Seuls les américains parviennent à restituer à ce point un âge d’or ; tout est réglé au cordeau, et l’osmose est évidente entre la virtuosité des talents sur la scène (claquettes, danse, jazz) et celle qu’ambitionne le réalisateur qui les magnifie.


Reste à raconter une histoire, qui par bien des points renoue avec le lustre d’antan du Parrain : mafia, règlements de compte, alliance et trahison viennent ensanglanter un glamour un peu trop clinquant pour être innocent. Au carrefour de plusieurs pivots historique (l’avènement du cinéma parlant, la crise de 29, la prohibition), le film fonctionne tant qu’il évoque le contexte pour épaissir son esthétique et ses scènes collectives. Ce n’est pas un hasard si les interludes et les parties musicales prennent autant de place dans le métrage : c’est là que le réalisateur semble le plus à l’aise. Les romances sont assez dispensables et tournent un peu à vide. On reconnaitra quand même le mérite au film d’aborder de front la question raciale, et en filigrane celle de l’homosexualité de deux boss, tout en mêlant avec une certaine habileté trois récits différents. Les destinées individuelles sont plus laborieuses, entre le palot Richard Gere et l’outrancier Nicolas Cage (pléonasme, je sais), les gangsters très méchants et la violence un peu trop graphique pour convaincre, nous refaisant le coup du montage alterné entre le folklore à claquettes et la tuerie (Cf. Le Parrain) où des litres de sang sur les cloisons qu’on croirait surgies de chez De Palma.


Car les 80’s règnent en effet malgré tout sur le film : par sa photo bleutée, son aspect un peu clinquant, le film vieillit bien plus vite que son illustre prédécesseur de 10 ans son aîné. Parce qu’il est trop référentiel (les apparitions de Chaplin sont assez maladroites par exemple) et lorgne avec l’exposition trop muséale, Cotton Club reste joli à voir, sans aller vraiment plus loin. Le final, qui assume clairement son happy end de comédie musicale, ne dit pas autre chose : l’entertainment se suffit à lui-même. De la part d’un cinéaste qui est parvenu à autant émouvoir ou fasciner, c’est tout de même bien frustrant.

Sergent_Pepper
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le 5 sept. 2018

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Sergent_Pepper

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