Il fut un temps où on savait filmer et raconter la France franchouillarde. Celle qui ne vit pas à Paris, qui ne fait pas le métier d’écrivain, incapable d’écrire une ligne, et, pour qui le quotidien se déroule dans un enchevêtrement d’évènements a priori sans importance, mais dont la présence suffit à rythmer une vie monotone dans des contrées que la plupart des réalisateurs réuniraient sous le terme de « province ». Coup de Tête est la déclaration d’amour entière de Jean-Jacques Annaud pour ces individus que l’on a l’habitude passive de regarder de haut : ambitions médiocres, intérêts réduits, virilités caricaturales et tartuferies prononcées. L’insatisfaction face au quotidien ne disparaît momentanément que dans un seul loisir, le football. Il en devient une institution incontournable, capable de faire sauter le verrou de la justice et des tensions entre les individus, dès lors que la victoire est impérative.


Faire jouer à Patrick Dewaere un personnage dissonant avec le reste de la communauté de par ses manières et sa sensibilité est un coup de génie, qui permet à l’acteur de mettre son propre caractère au service de l’écriture de son rôle pour en renforcer l’intensité. Il brille à l’écran par la même occasion, dans une habitude d’être à la fois touchant, et à part, à l’image de ce qu’il a été dans la vie réelle. La dureté de François (Dewaere), cet homme qui adore le football mais qui est méprisé par tous ceux qui l’entourent, à commencer par l’attaquant vedette de l’équipe de Trincamp, n’existe que pour contrebalancer les crasses qui lui sont faites à plusieurs reprises. Coup de Tête s’ouvre sur ce joueur dont la vie n’est pas plus excitante que les autres. Ouvrier à l’usine, attaché à une relation adultère avec une femme pour laquelle il compte peu, ses seuls moments d’évasion se déroulent sur la pelouse. Par une malchance que l’on devine habituelle, François perd coup sur coup sa place dans l’équipe locale, sa place à l’usine, sa place d’amant pour gagner une place en prison. Ses actions font de lui un coupable idéalement désigné, car rien n’indique qu’il sera une gêne pour les notables décideurs du coin. C’est sans compter les retournements de situation qui touchent par la grâce les David contre les Goliath.


Coup de Tête est un film de gentils, sans la mièvrerie qui va communément de pair. Lissé par le genre de la comédie, le scénario n’en donne pas moins une grande place à la brutalité en parlant de pauvreté, de déperdition, de mensonge graves de viol. La crapulerie s’étend à toutes les strates des habitants de Trincamp, qui entre deux matches de l’équipe locale comptent leurs sous avec avarice. Le ridicule apparent des enjeux est mis en exergue par les récompenses toutes plus absurdes les unes que les autres qui viennent s’accumuler aux pieds des vainqueurs en maillot d’attaquant du grand soir. Momentanément, ils sont « intouchables », ce que reconnaît aussi le patron de l’usine, également président du club de Trincamp. Dans une ville de taille réduite, la chose prête à sourire. Mais les mêmes mascarades sont à l’oeuvre dans des structures plus grandes, avec des sommes rocambolesques. Mettre en scène l’hypocrisie du monde footballistique dans une bourgade sans prétentions revient à dénoncer le phénomène partout, encore actuel. L’intelligence de Jean-Jacques Annaud est de ne pas se contenter de parler d’argent, mais aussi d’influence, dans un monde où tout est imbriqué. La justice est corrompue, les puissants échappent à leurs obligations. Optimiste, son film nous laisse croire que la fourberie dont on se moque pendant une heure trente ne gagne pas toujours à la fin.


S’il n’y avait les moustaches et les coupes de cheveux douteuses, Coup de Tête n’aurait pas pris une ride. Preuve que la modernité d'un film est ontologiquement rattachée à l'universalité de son discours.

-Ether
8
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le 1 sept. 2016

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-Ether

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