Dans la petite ville de Trincamp,François Perrin,raté lunaire, est le loser attitré et la bête noire des habitants.Il joue au foot,mais dans l'équipe réserve,il travaille à l'usine mais y occupe un emploi très subalterne,il a une copine mais ce n'est pas vraiment la sienne vu qu'elle vit avec un autre.Par conséquent le jour où il secoue un peu Berthier,la vedette de l'équipe première,à l'entraînement,tout s'écroule pour lui.Il est viré du club,puis de l'usine,les deux appartenant au président Sivardière,et quand l'infâme Berthier viole une fille c'est le pauvre Perrin à qui on fait porter le chapeau.Il se retrouve en taule mais la chance va tourner à la faveur des performances du FC Trincamp et d'un concours de circonstances aboutissant à l'extraction du gars de sa geôle puis de son rôle providentiel lors d'un match capital.De paria,il devient le héros de la ville et on ne peut plus rien lui refuser,ce dont il va largement profiter dans le but de se venger.Il s'agit là de la deuxième réalisation de Jean-Jacques Annaud,trois ans après "La victoire en chantant" et son Oscar du Meilleur film étranger,et deux ans avant "La guerre du feu".Il en a coécrit le scénario avec Alain Godard et surtout Francis Veber,presque le véritable auteur du film,qui a rédigé des dialogues férocement percutants.Pour ce qui est de l'équipe technique,Annaud s'est entouré de collaborateurs habituels comme l'assistant Dominique Cheminal,le chef-op Claude Agostini ou la monteuse Noëlle Boisson,par ailleurs épouse de Cheminal.Alain Poiré produit pour la Gaumont,Pierre Bachelet signe la musique et les cascades sont dues aux célèbres Rémy Julienne et Claude Carliez.Ce concentré de ciné seventies prend la forme d'une comédie acide jouant la carte de l'excès afin de faire ressortir les côtés peu reluisants de l'âme humaine.Si ce n'était si drôlement traité,ça pourrait être sinistre.La mise en scène fluide d'Annaud et le montage savant de Boisson nous plongent direct dans le quotidien plutôt morne d'une cité ordinaire de l'époque,où le football est le seul loisir venant égayer cette grisaille,ce qui explique les passions qu'il suscite.Comme le dit si bien Sivardière:"j'entretiens onze imbéciles pour en calmer 800".Ce naturalisme convaincant est rehaussé par l'hilarant cynisme d'un Veber qui nous bombarde de répliques définitives à la Audiard.Il utilise comme révélateur son traditionnel personnage de François Perrin,ce type naïf,simplet et malchanceux,désarmé face à la vie, en butte à l'hostilité générale.L'auteur a plus souvent employé le nom de François Pignon mais celui de Perrin apparait dans plusieurs de ses oeuvres,Pierre Richard le portant dans "Le jouet" et "La chèvre",ainsi que Patrick Bruel dans "Le jaguar".Le protagoniste tente maladroitement de se frayer un chemin au milieu du mépris,de la malveillance et de l'hypocrisie auxquels il se heurte constamment.L'ambiance provinciale de l'époque est joliment décrite,entre ennui et tranquillité,tout comme le fonctionnement d'un club de foot,même si les séquences de matches sont loupées et ne ressemblent à rien de connu sportivement parlant.Mais au-delà de ce cadre si bien posé,des thèmes émergent,notamment celui du statut social,si important dans nos sociétés.Perrin n'a pas de statut,c'est un pauvre,un traînard,une sorte de zonard dépenaillé qui voudrait obtenir une considération qu'on lui refuse.D'ailleurs tous les postes sont attribués dans ce monde figé contrôlé par les notables du cru,Sivardière et les commerçants locaux constituant l'oligarchie locale et s'appuyant sur les politiques,maire,préfet ou député,avec en-dessous la justice,la police et l'administration pénitentiaire.Le système est parfaitement organisé et verrouillé jusqu'à ce qu'un grain de sable ne vienne gripper la machine.Perrin en est le vecteur mais le vrai responsable du déraillement est le foot,ce jeu étrange qui prend des allures d'opium du peuple et prévaut même sur la classe supérieure.Tout le monde aime ce sport et toute la ville s'enflamme dès que les résultats deviennent brillants,ce qui propulse Perrin au rang d'idole instantanée.C'est là qu'intervient un autre sujet,la liberté.Au fond tous ces gens sont prisonniers des fonctions auxquelles ils se sont assignés,un genre de servitude volontaire,mais François a lui suffisamment morflé pour dépasser tout ça.Il refusera de rentrer dans le rang,son nouveau statut étant finalement plus contraignant que l'ancien,et il tournera le dos à cet univers pour aller vivre autre chose.Le génial Patrick Dewaere dégaine un de ces numéros énormes dont il avait le secret,pianotant sur une gamme très diversifiée au gré des évolutions d'un personnage candide obligé de s'endurcir sans perdre son identité profonde.Sa présence n'écrase pas le reste du casting,les auteurs ayant pris soin d'attribuer des caractéristiques et des arcs narratifs à une magnifique troupe de comédiens,chaque scène étant l'occasion de voir surgir une tête connue.Voici Jean Bouise,froid comme une lame en industriel pragmatique,la jolie France Dougnac en jeune bourgeoise agressée sexuellement,Michel Aumont en garagiste faux-jeton,Paul Le Person en marchand de meubles veule à souhait,Corinne Marchand en femme de président hautaine et ironique,Robert Dalban en vieux dirigeant sympa,le seul qui aime bien Perrin et veut l'aider,Bernard-Pierre Donnadieu en VRP cocu,Dorothée Jemma en maîtresse prise sur un échafaudage,Maurice Barrier en cafetier teigneux,Hubert Deschamps en directeur de prison obligé de virer François de sa taule manu militari,Gérard Hernandez en flic qui perd sa chevalière en collant des baffes aux suspects,Michel Fortin en entraîneur bedonnant,Patrick Floersheim en Platini de sous-préfecture prétentieux,François Dyrek et Jacques Frantz en chauffeurs routiers,Mario David en soigneur,Claude Legros en employé d'hôtel trouillard,Jean-Paul Muel en policier pas motivé et Pascal Benezech en jeune mécano dont l'air ahuri fait merveille.On a tourné à Auxerre en utilisant les équipements de l'AJA,dont le patron Guy Roux est intervenu sur le film en tant que conseiller technique.

pierrick_D_
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le 25 mars 2022

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