Devenu culte grâce au temps

On a entendu récemment un homme politique — une vraie andouille, disons les choses — affirmer que le seul critère de qualité d’un film serait qu’il “rencontre son public”. Difficile d’imaginer phrase plus consternante. Une telle vision confond succès commercial et valeur artistique, et trahit surtout une profonde inculture.

Prenez Coup de tête de Jean-Jacques Annaud. Lors de sa sortie, le film ne fit qu’un succès d’estime, à peine plus. Et pourtant, avec le temps, grâce aux diffusions télévisées et aux multiples éditions vidéo, il est devenu un véritable film culte. Aujourd’hui, les quelques notes de Pierre Bachelet sont connues de tous, et si l’on pose la question : “Quel est le meilleur film sur le football ?”, il y a de fortes chances pour que l’un des premiers titres cités soit Coup de tête.

Le scénario de Francis Veber est une leçon d’écriture. Sous les apparences d’une comédie, il aborde des thèmes d’une noirceur rare : le viol, le chômage, l’immigration, la corruption provinciale… Le football, ici, n’est qu’un opium destiné à endormir la population. Et soudain, un homme vient donner un grand coup de pied dans la fourmilière : le personnage incarné par l’immense Patrick Dewaere. Autour de lui gravitent des seconds rôles exceptionnels — Jean Bouise, Paul Le Person, Gérard Hernandez, Maurice Barrier, Michel Aumont, Michel Fortin, et tant d’autres — qui donnent au film son épaisseur humaine et son énergie singulière. Sans oublier la présence lumineuse de France Dougnac, trop souvent négligée lorsqu’on évoque la distribution.

Coup de tête est un grand film, passé presque inaperçu lors de sa première vie en salles. Mais l’histoire du cinéma mondial regorge de ces œuvres discrètes à leur naissance, puis redécouvertes, réévaluées, aimées comme elles le méritent. Il n’y a pas de meilleure preuve que la notion de “rencontrer son public” n’est pas une mesure de qualité, mais simplement un instantané, parfois aveugle, des goûts d’une époque.