Créatures célestes, éthérées, à part, trop bien pour le monde d'en-bas, c'est comme elles se voyaient.
La tête écrasée maintenue immobile sur le sol par l'une, pendant que l'autre s'acharne à coups de briques sur le crâne, provoquant d'abord des vomissements, puis du sang, puis défonçant complètement la boîte crânienne et réduisant le cerveau à l'état de bouillie, c'est ce qu'elles ont fait.
La victime? La mère de l'une.
Un fait divers atroce dont la sauvagerie a durablement traumatisé la Nouvelle-Zélande.


Jackson nous propose un voyage dans la tête de ces adolescentes ( "petites filles" avec un corps de femmes serait même plus juste), qui ont, un jour, basculé dans la folie meurtrière.
Une dé-diabolisation.
Essayer de comprendre, mais ne pas excuser.
Quoique parfois on passe un peu d'un extrême à l'autre, le film allant quelques fois un peu trop loin dans ce sens, certains pourraient croire que seuls l'entourage porte la responsabilité du drame, ou l'ordre moral.


Or, c'est la relation en elle-même qui est pathologique, la fuite de l'oppression familiale qui conduit à une fuite dans l'imaginaire, un repli, un désintérêt et un désinvestissement du monde extérieur, et une dé-réalisation de plus en plus inquiétante, et qui s'accentue au fur et à mesure. Le monde extérieur n'existe plus, les êtres et les choses ne sont plus que des objets sans âmes, et ça ne peut pas se finir bien en général.


On a dit d'elles qu'elles étaient psychopathes, mais pour moi elles ne le sont pas. Quelqu'un qui comment un crime sous l'impulsion d'un délire ou d'un fantasme, parce qu'il a perdu pied avec la réalité, et qui revient à la réalité par l'horreur même de son crime, ne peut pas être psychopathe, mais quelqu'un qui a traversé un épisode psychotique, ce qui n'est vraiment pas la même chose. Le psychopathe reste psychopathe, sa personnalité s'est forgée comme cela. Au mieux on peut le protéger de lui-même et les autres, mais on ne pourra jamais apprendre l'empathie à quelqu'un qui n'en a aucune notion. Peut-être qu'on le pourra un jour, et ce sera la fin des meurtres en série.


Les filles, vieilles dames à présent, font encore l'objet de haine et de vindicte populaire à l'heure actuelle, or elles ont payé leur dette, mais ce ne serait pas suffisant si elles n'avaient pas réellement changé (oui, payer sa dette ne suffit pas). C'est pour cette que je suis personnellement opposée à la peine de mort, car dans certains cas, même les pires criminels peuvent s'amender et se réinsérer comme elles l'ont fait (mais pas tous, il y a des cas désespérés, comme les meurtriers d'enfants, je pense que ceux là sont irrécupérables malheureusement).


Réalisant l'horreur de leur acte, pour ne pas sombrer, définitivement cette fois, dans la folie, ou l'auto-destruction, elles ont toutes deux connu des conversions religieuses. S'il y a un Dieu qui peut leur pardonner, même si la société ne leur pardonne pas, alors elles peuvent travailler à leur rachat et à être de meilleures personnes. L'une s'est mise à travailler avec et pour des enfants handicapés.


Ce drame n'est pas unique.
Il y a eu beaucoup de faits dives de ce genre, avec des meurtres dont la brutalité et la sauvagerie contraste avec l'apparente futilité des motifs. Et c'est la plupart du temps des adolescents, peut-être parce que l'adolescence est une période où on était plus exposé à ne pas savoir bien hiérarchiser, où la passion prend facilement une tournure dramatique, peut-être à cause du peu de recul qu'on possède.


Ce garçon par exemple, qui tua sa mère, parce qu'elle voulait l'empêcher de s'adonner à sa passion des jeux vidéos, et qui vaqua ensuite à ses occupations, comme si de rien n'était. On peut admettre que le jeu c'était sa vraie existence, et son existence dans le monde était un rêve. Ces jeunes servantes qui tuèrent leur patronne pour une remarque sur un habit mal repassé.
Mais dans ces cas, les agresseurs étaient de réels psychopathes, le crime une fois commis, ils s'en sont retournés à leurs occupation comme si de rien n'était... Ce qui n'est pas le cas des filles.


Oui, l'adolescence est une période sensible aux risques de dé-réalisation. On voit que ça ne date pas d'aujourd'hui. Ces filles, à cause de leurs frustrations familiales, vivaient dans une sorte de jeu de rôle, de plus en plus permanent, on imagine qu'avec l'outil informatique, pouvant donner une réalité plus palpable à ces fantasmes, ça aurait même peut-être encore été pire.
Quand on voit les vraies photos de Pauline, on se dit qu'il est assez visible que cette gosse n'allait pas très bien.
L'incompréhension de leur entourage, face à cette amitié hors norme, excessive, passionnée, fusionnelle surtout, n'a pas dû arranger les choses, mais que faire quand on voit son enfant sombrer dans un univers où plus rien d'autre ne compte que l'imaginaire?
On est dans les années 50, et les parents de Juliet paraissent bien égoïstes, préférant se retrouver seuls pendant 4 mois pour vivre leur vie amoureuse, plutôt que de voir que leur fille est en train de sombrer lentement. On comprend que cette amitié ait pu être un ersatz.


On a bien vite lâché le mot d'homosexualité, pour décrire ce qu'on ne comprenait pas, il faut absolument mettre des mots dessus, et le film est assez ambigu dans ce sens, elles se font de petits bisous en fantasmant leur prince charmant, mais je pense qu'à peu près toutes les ados ont dû jouer à ce genre de jeux, filles ou garçons, et ça n'est pas toujours révélateur d'homosexualité.
Les filles ont toujours nié avoir eu en tête autre chose qu'une amitié pure et fusionnelle, sur la base de fantasmes communs. Est-ce du déni, ou ont-elles été complètement incomprises. Jackson a fait ce film avant qu'elles se mettent à parler du passé, car elles s'étaient fondue dans un anonymat total jusqu'à ce film.


Cela étant dit, je n'ai pas adoré le film, je lui trouve les qualités que j'ai déjà expliqué, mais je ne comprends pas pourquoi il est encensé à ce point, et Lovely Bones descendu à ce point. Ces deux films se ressemblent sur beaucoup d'aspects et sont assez complémentaires.
Dans les deux, il y a des scènes qui tapent sur le système, dans Lovely Bones, ce sont les scènes de l'au-delà, et dans Créatures célestes, c'est l'amitié, que je trouve très mal transcrite, montrant de petites dindes qui courent sans arrêt en gloussant d'une manière insupportable. J'ai presque cru que je regardais un épisode de Chapi Chapo. Et les délires autour d'Orson Welles par exemple, tout ce genre de chose, ennuyeux. Je trouve Lovely Bones plus sensible, et je n'ai pas été touché par un éventuel côté poétique de Créatures célestes. Les petits bonshommes en argile, j'ai trouvé ça assez bien rendu, vraiment inquiétant, mais poétique, non.

Perce-Neige
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le 23 oct. 2015

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Perce-Neige

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