40 ans après le premier Rocky, Sylvester Stallone ne remet pas les gants et passe le flambeau à Michael B. Jordan. La transmission est superbement réussie dans les rues de Philadelphie, sous la caméra de Ryan Coogler. La légende n'est pas prête de s'éteindre et on va encore gravir les marches menant au Philadelphia Museum Art dans les décennies à venir.


Un lourd héritage. Rocky, c'est l'incarnation du rêve américain, avant de devenir un personnage iconique du cinéma. Le petit film d'auteur de 1976 de John G. Alvidsen, écrit et interprétait par Sylvester Stallone, est devenu un immense succès planétaire. Il a connu cinq suite, mais aucune ne sera à la hauteur de l'oeuvre originelle. Le mythe s'est perdu dans le luxe, comme son personnage, en oubliant de donner du fond à son mythe. La tentative de retour aux sources en 1995, avec le retour de John G. Alvidsen derrière la caméra (après que Sylvester Stallone ai pris les commandes des trois opus précédents) ne fût pas une réussite, bien au contraire, c'est le plus mauvais de la série. On pensait que cela en était fini de lui, qu'il pouvait couler une retraite paisible dans son restaurant du nom de sa défunte femme Adrian's. Mais la nostalgie et le manque de créativité du cinéma hollywoodien, lui a donné un second souffle en 2006, avec à nouveau Sylvester Stallone à la réalisation, scénario et interprétation. La réussite est au rendez-vous, il peut partir la tête haute, où presque.


Transmission de flambeau. La révolution est en marche, avec à sa tête Ryan Coogler. Le nom de Rocky n’apparaît plus dans le titre principal. On le retrouve en sous-titre, pour ne pas trop perturber le spectateur, mais surtout pour des raisons purement commerciales. C'est aussi le premier Rocky, où Sylvester Stallone n'est pas au scénario. Il a laissé les manettes au jeune réalisateur de Fruitvale Station, dont Michael B. Jordan était déjà la tête d'affiche. Le jeune duo va remettre la légende au goût du jour, en reprenant les codes du film originel. On est pas loin du remake.
La réussite du film tient à sa capacité à assumer sa descendance, tout en la rendant plus moderne, en évitant de créer un choc générationnel. Les deux boxeurs partagent le même amour pour le noble art. Ils n'ont pas besoin d'avoir d'autres passions communes, tant la boxe prend une place immense dans leurs vies. Rocky peut se réveiller sur "Wake up everybody" d'Harold Melvin & The Blue Notes, alors qu'Adonis court sur "Lord Knows" de Meek Mill, peu importe, ils ont le même but, être prêt pour le combat. On passe de la soul au hip-hop, mais cela reste des artistes nés à Philadelphie.
La ville est un personnage à part entière de l'histoire. Elle abrite la légende de Rocky, dont sa statue prône toujours en son sein. Lorsqu'Adonis débarque dans la ville de l'amour fraternel, c'est au son de "The Fire" de The Roots featuring John Legend, encore des artistes locaux. Sa rencontre avec Bianca (Tessa Thompson) renforce encore plus ce côté "roots". C'est une artiste, se référant à Jill Scott et utilisant le terme "Jawns", qui est propre à cette ville et désignant tout objet où personne. Les rues de Philadelphie où courre Adonis, font aussi parti du décor, avec ses salles de boxe, se trouvant dans des recoins reculés de la ville, où seuls les initiés, connaissent leurs existences. C'est en ces lieux loin des projecteurs, qu'Adonis va s’entraîner, sous les ordres d'un Rocky vieillissant, incapable de garder longuement les bras levés, mais avec toujours sa science de la boxe, intact dans sa tête.


La boxe est secondaire. On parle toujours de la saga Rocky, en la réduisant à un film sur la boxe. Hors, c'est avant tout l'histoire d'un homme, qui va se construire par la force des ses poings, avec le soutien de sa femme, son beau-frère et d'un vieil entraîneur. Cela parle avant tout de ses hommes, de leur quotidien qui va être chambouler par la notoriété et le succès. Adonis ne se présente pas sous le nom de son père Apollo Creed, mais avec celui de sa mère décédée. Il veut se faire son propre nom et créer sa propre légende. Il se bat contre lui-même et ce père qu'il n'a pas connu, mais dont il partage le même talent pour la boxe. Il a du mal à accepter ce lourd héritage et va trouver en Rocky, ce père de substitution, qu'il n'a pas eu, malgré le luxe et la bienveillance de sa mère adoptive Mary Anne Creed (Phylicia Rashad). Il a fait le choix de quitter une vie tranquille, pour se donner corps et âme, à ce sport qui guide ses poings depuis son enfance. Il va redonner goût à la vie à un Rocky vieillissant. Son fils a refait sa vie loin de lui et la venue d'Adonis, va lui donner une raison d'être. Chacun va mener son combat, avec le soutien de l'autre.
L'humanité qui se dégage de Rocky est émouvante. Il a connu la gloire, avant de tout perdre et de revenir parmi les siens. Il a vu ses proches partir les uns, après les autres. Il ne les oublient pas et leur rend visite au cimetière. Il vit entouré de fantômes. Il est seul face à lui-même et attend de rejoindre sa femme au ciel. Sylvester Stallone est magnifique. En acceptant d'être un second rôle et de ne pas participer à l'écriture, il a mis toute sa confiance dans cette nouvelle génération, qui va lui rendre de la plus belle des manières, en lui offrant un grand rôle.


Michael B. Jordan se retrouve au sommet. Ce film va faire de lui une star internationale, tant il éclabousse l'écran de toute sa rage et talent. Ce n'est pourtant pas un inconnu. Il a fait ses gammes dans la plus grande série de tout les temps The Wire, avant de franchir un nouveau pallier dans Friday Night Lights. Son parcours ressemble presque à un sans faute. Avec Chronicle, il continue de séduire le public, avant de montrer une nouvelle facette de son talent dans Fruitvale Station. On oubliera Les 4 fantastiques, où sa prestation n'est pas remise en cause. C'est plutôt un problème de production, avec le réalisateur **Josh Trank** désavoué par le studio. Il fait parti de cette jeune génération entrain de prendre le pouvoir à Hollywood, grâce à son bonne gueule, mais surtout, son talent. Il est né pour briller et son étoile n'est pas prête de s'éteindre, comme celle de Rocky.
Ryan Coogler signe un second film de haut niveau. Même si le budget n'est pas énorme avec 35 millions, ce n'est jamais facile de s'attaquer à un personnage aussi populaire. Il a su lui redonner un second souffle, en réussissant à faire coexister l'ancienne et le nouvelle école. Il ne s'est pas contenté de recycler l'histoire, mais lui a donné une cohésion, en évitant de trop sombrer dans la facilité. Les ficelles sont parfois un peu simpliste : la belle voisine, la romance qui s'ensuit et le combat final, ressemblant en tout point à celui du premier Rocky. La différence se joue dans la manière de filmer, en restant coller aux corps de ses boxeurs s'affrontant sur le ring, alors que la caméra tourne avec eux. La chorégraphie est parfaite. Les coups sont violents, on sent l’âpreté des contacts. On vibre à chaque combat et on secoue la tête à chaque son, d'une bande originale monstrueuse. On n'oubliera pas Michael B. Jordan courant dans les rues de Philadelphie, entouré de quads et motos, rappelant la belle époque de Ruff Ryders. Ni l'entrée de Ricky Conlan (Tony Bellew) dans son stade de Liverpool, avec ce cracheur de feu, donnant le sentiment d'être dans un cirque. Enfin, Bianca (Tessa Thompson), réussit à exister dans ce monde machiste. Sa présence permet de rendre Adonis plus humain, puis sa voix va en séduire plus d'un. Elle est sur la pente ascendante, après Dear White People et Selma, en confirmant son talent. On a une belle brochette de futurs stars en puissance, même si l'un d'eux est déjà entrain de tutoyer les sommets.


C'est du cinéma qui prend aux tripes. On va être déborder émotionnellement et en ressortir avec le sentiment d'avoir vu une oeuvre qui va marquer cette année 2016, voir plus. Le pari n'était pas évident. Le scepticisme était de rigueur, mais on va rapidement être séduit par Creed. Le premier coup cœur l'année.

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le 15 janv. 2016

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Laurent Doe

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