Vers le début du film Takakura, ancien policier devenu professeur de criminologie, raconte à ses étudiants un fait divers ayant eu lieu aux Etats-Unis : un homme a kidnappé quatre prostituées, les a menottées, embarquées de force dans son avion privé puis relâchées en pleine forêt pour leur tirer dessus comme sur du gibier. Takakura conclut en souriant : « Aux Etats-Unis, tout est toujours plus spectaculaire. »
On peut voir là un commentaire de Kiyoshi Kurosawa sur la façon dont son cinéma se démarque des thrillers et films fantastiques hollywoodiens par un refus du spectaculaire au profit de la suggestion, et par une nette préférence pour la terreur mentale plutôt que pour l'horreur physique. Et c’est ce qui fait tout l’intérêt de Creepy : Kurosawa, sans faire vraiment intervenir d’ élément surnaturel, réussi à créer un climat constant de fantastique.
Comme toujours aussi, le réalisateur introduit une dimension sociale. Dans une interview aux Cahiers du cinéma, il déclarait qu’il avait voulu « extraire de l’urbanisme japonais une terreur atone et oppressante, une asphyxie dont l’idée des corps mis sous vide est la métamorphose. » Il ajoutait : « Si Nishino peut parasiter les foyers et composer des familles factices c’est parce que des automates habitent déjà ces maisons. »
Kurosawa a l’une des caractéristiques majeures des grands cinéastes : un style, que l’on reconnait dès les premières minutes si l’on a déjà vu certains de ses films. Creepy est un excellent polar anxiogène, magnifiquement filmé avec un sens du cadrage et de l’éclairage qui est impressionnant.
Pour finir on se rappellera qu’Hitchcock disait que plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film. Creepy nous donne ainsi à voir l’un des meilleurs et des plus singuliers portraits de psychopathe de l’histoire du cinéma. Sur ce point, il faut donc aussi louer l’interprétation exceptionnelle de Teruyuki Kagawa, extraordinairement inquiétant en balourd maladroit et un peu demeuré, et cependant terrifiant psychopathe.