Avec Crimson peak, del Toro renoue avec les fantômes. Ce film est relié par cette thématique à L’Échine du diable. Alors que ce dernier film s’ouvrait sur cette question : « Qu’est-ce qu’un fantôme ? » et y répondait, Crimson Peak à son tour s’ouvre sur la mention des fantômes : « Les fantômes existent, ça je le sais » puis après nous avoir raconté toute l’histoire, le film reprend cette même scène d’ouverture en finale et la prolonge :

Les fantômes existent, ça je le sais. Certaines choses les retiennent à un endroit, tout comme nous. Certains s’accrochent à une parcelle de terre. A un moment ou une date. Au sang répandu. A un terrible crime. Puis il y a les autres. Ceux qui s’accrochent à une émotion. A une pulsion. A une perte. A une vengeance. Ou à l’amour. Ceux-là ils ne partent jamais.

Que del Toro nous parle de fantômes ou qu’il nous parle de monstres, il nous parle en réalité de l’homme. Les fantômes, sont avant tout liés au passé, liés à un emprisonnement, une attache, c’est un lieu de mort dans l’homme.


Les fantômes de Crimson Peak comme c’est déjà le cas dans L’Échine du diable, ont besoin d’aide, ils sont en détresse, ils ont besoin d’être libérés. La représentation du fantôme dans les deux films est la même, le fantôme apparaît sous une forme qui est liée à la manière dont la personne est morte, il se trouve donc enchaîné à l’instant de sa mort. Le libérer, c’est lui permettre de quitter cet instant pour autre chose dont on ne sait rien…


Cela c’est l’arrière-plan de l’histoire. Pour ce qui est de l’avant-plan, Crimson Peak nous raconte une histoire d’amour entre Édith, une jeune fille romancière du début du XXe siècle et Thomas un « baronnet », un jeune homme mystérieux. Le film se partage entre deux périodes : celle où Édith vit avec son père à New-York puis celle où elle suit Thomas qui vit avec sa sœur dans un manoir en Angleterre, après l’avoir épousé. Deux périodes traitées chacune avec une esthétique différente. Le nouveau monde l’Amérique, est traité avec une couleur dorée ; le manoir enfermé dans le passé est traité avec des teintes sombres, lugubres et le rouge symbolise le péché du passé et son terrible secret. Ce manoir à l’esthétique gothique est une pure merveille, à lui seul il forme un personnage : il vit, il respire, il crée une atmosphère, il reflète les émotions des personnages. Édith, dans sa tunique blanche et légère apparaît au milieu de ce décor comme une victime innocente et inconsciente mais qui sent pourtant le danger sans pouvoir le nommer.


Thomas, maître des lieux avec sa sœur, semble prisonnier d’un secret et d’une grande tristesse. Il lutte avec lui-même et très vite il apparaît qu’il est sous l’emprise de sa sœur Lucille qui est l’exact opposé d’Édith. Sa chevelue est noire tandis que celle d’Édith est dorée ; son regard est d’acier, tandis que celui d’Édith est innocent tout en étant intelligent ; son comportement est hermétique tandis qu’Édith est franche, directe et entière. La relation entre ces trois là évolue à l’arrivée d’Édith au manoir. C’est une relation lourde de tension psychologique, lourde de non-dits, lourde de secrets.


Le film bénéficie d’une photographie absolument sublime, de plans d’une grande beauté, d’une atmosphère prenante. La beauté et la tendresse sont présentes dans ce film comme dans toutes les œuvres de del Toro. On peut évoquer la valse magnifique de Thomas et Édith, tournoyant une bougie à la main au milieu du gratin aristocratique de New-york. On peut évoquer aussi la tendre caresse d’Édith à Thomas dans la scène finale, caresse libératrice et vivifiante pour lui.


Ce film n’a malheureusement pas rencontré le succès. Pourtant comme tous les films de del Toro, il est porteur d’un message existentiel et d’une réelle profondeur. La forme « horrifique » et la violence qui va grandissante au fur et à mesure que le film avance ne convient pas à tout le monde et a constitué un obstacle à sa réception. Mais bien qu’il soit classé comme film « d’horreur », pour del Toro il s’agit avant tout d’une romance gothique.

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le 22 mai 2022

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abscondita

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