Crimson Peak, la nouvelle romgo (romance gothique)

On peut avancer que si Guillermo del Toro est autant reconnu et apprécié, c’est parce qu’il sait l’importance de l’imaginaire sur le réel, en incorporant un fantastique mis en scène par ses soins, retranscrit avec une élégance certaine.


En 2015, avec Crimson Peak il propose sa vision de la romance gothique, un récit d’amour d’autant plus fort que la mort rode. Ce conte pour adultes adopte des trames scénaristiques parfois un peu trop prévisibles, mais c’est bien la beauté macabre de cet univers qui le distingue.


Dans l’Amérique du début du XXème siècle, au sein de la ville de Buffalo et de sa bourgeoisie, la jeune Edith Cushing est ainsi une jeune femme, seule fille de l’homme d’affaires Carther Bushing. Edith aspire à vivre de son écriture, elle est sociable et accommodante, mais possède un terrible secret, l'apparition d'un spectre qui lui ordonne de se méfier de Crimson Peak. En dehors de ce petit problème traumatique, Edith est d’une bonne nature mais peu intéressée par les affaires de la bourgeoisie locale. Celle-ci est alors en ébullition avec la venue de sir Thomas Sharpe, baronnet anglais, doux et intelligent, accompagné de sa sœur, Lady Lucille. Ces derniers recherchent des fonds pour leur entreprise. Leur démarche est sans succès, mais leur compagnie est appréciée.


Thomas Sharpe se rapproche ainsi d’Edith, malgré la méfiance de son père qui somme un détective de se renseigner sur le frère et la sœur. Il est malheureusement victime d’un assassinant camouflé en accident dramatique. Edith peut compter sur l’épaule de Thomas pour l’aider, avant que tous deux ne se marient. Elle et lui partent alors sur la demeure familiale des Sharpe, manoir délabré, percé en son toit, trônant comme il peut sur une colline alors utilisée pour la briquetterie. De plus en plus malade, et harcelée par différents fantômes du lieu, Edith va chercher à comprendre les secrets du de l’endroit, qui révéleront un passé morbide et un présent inavouable.


La jeune héritière épousée pour son argent n’est ainsi pas d’une grande originalité, d’autant que Guillermo del Toro ne cherche pas vraiment à jouer sur l’ambiguïté des Sharpe, leurs intentions sont rapidement perceptibles, le récit n’en déviera pas. Il reste que les hésitations morales de Thomas, entre ce qu’il estime être son devoir et ses sentiments pour sa nouvelle femme, permettent d’apporter une balance morale intéressante, questionnant de quel côté elle va pencher. La sœur, plus inquiétante, faussement attentionnée, capable d’une réserve glaciale ou d’émotions abruptes, est aussi une pièce majeure de ce jeu de dupes, dont la révélation de son passé glacera le sang. Tom Hiddleston et Jessica Chastain forment un duo familial assez saisissant, dont l’arrivée de la belle et gentille Mia Wasikowska va changer les contours, si elle en survit.


Il reste néanmoins que cette trame souffre de certaines facilités, ne s’embarrassant pas de développements pour certaines scènes. A l’image de la mort du père, dont il est impossible de croire à une mort accidentelle, ou de l’arrivée providentielle d’un nouvel arrivant dans ce manoir vers la fin. Mais c’est aussi à l’image d’un conte, de devoir mieux accepter certains points pour se concentrer sur d’autres, à l’image de ce récit d’amour et de secrets, et des quelques nuances qu’il peut contenir.


Ce conte gothique il peut lui donner vie et il faut reconnaître que le film est d’une étonnante beauté. Rien ne semble avoir été laissé au hasard, les détails sont nombreux, avec des correspondances intéréssantes entre les décors, les costumes ou d’autres points. Le cinéaste a parfois la main lourde sur le symbolisme, à l’image de celle sur les papillons, présents à la fois aux Etats-Unis et en Angleterre mais pour deux espèces bien différentes. Leurs différences sont tout de mêmes expliquées dans une scène, pour que le spectateur comprenne bien leur importance, mais il faut rester vigilant aux costumes d’Esther ou de Lucille, ou à des représentations dans le décor. L’un des plus évidents est évidemment la couleur rouge de cette argile de brique, dont l’entreprise repose sur des secrets ensanglantés. Mais il en reste d’autres, qui viennent appuyer l’atmosphère unique.


Celle-ci passe ainsi par une direction de la photographie soignée, confiée à Dan Lautsen, qui reviendra faire des merveilles avec le cinéaste mexicain deux ans plus tard pour La Forme de l’eau. Là encore, c’est un peu schématique, entre la première partie américaine, d’une couleur ocre, évoquant un âge doré, et la seconde plus sombre, bien évidemment. Mais cela reste du travail bien fait et qui présente bien, évoquant d’ailleurs celui de Mario Bava, artisan de l’image, bien connu pour ses films gothiques, référence d’ailleurs assumée.


Les quelques fantômes présentés sont d’ailleurs très réussis, assez impressionnants, fracassés, abîmés et vindicatifs, prêts à laisser quelques frayeurs. Leurs apparitions sont limitées, mais elles marquent, témoignant de la violence d’un passé qui n’est pas vraiment mort.


Le cadre de cette seconde partie, cette maison familiale abîmée par le temps et les secrets, est lui aussi d’une exemplaire finition, un cadre saisissant comme seul le cinéma peut le créer. Il s’agit bien d’une création pour le métrage, et pourtant on ne peut s’empêcher de vouloir y croire, à la fragilité de ses murs, ses papiers-peints vermoulus, ses tuyaux rouillés, son mobilier abîmé ou son toit percé dont tombe quelques poussières de débris dans l’éclat de lumière ainsi crée. Dans cette reconstruction des vieilles légendes cinévisuelles des manoirs hantés, celui de Crimson Peak, puisque tel est son surnom, est une incroyable réussite. Ne pas avoir donné un Oscar, ou même une petite nomination, pour le travail de Thomas E. Sanders, déjà responsable des décors du Dracula de Francis Ford Coppola, de Braveheart ou d’Il faut sauver le soldat Ryan ne peut s'expliquer que par une terrible malédiction.


Certes, Crimson Peak se révèle un peu prévisible sur bien des points, mais c’est aussi pour mieux surprendre à d’autres moments, notamment dans sa seconde partie, bien plus réussie que sa première, qui laisse le froid dans le dos parcourir la peau du spectateur. Une romance macabre réussie, démontrant une fois encore la facilité et le talent de Guillermo del Toro pour reprendre un certain cinéma de genre et lui donner de nouvelles lettres de noblesse.


SimplySmackkk
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le 16 févr. 2024

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