Au compte des adaptations sans ambition de l'œuvre de Stephen King, Cujo vient se ranger dans la moyenne de ces films concentrés sur l'aspect terreur ou horreur et qui passent allègrement à côté des personnages impliqués. Encore une fois, là où le roman original étire l'action sur de nombreuses pages pour nourrir la psychologie de protagonistes mis dans l'impasse et qui cherchent désespérément comment s'en extirper,
ce téléfilm survole de bien trop haut les enjeux
pour courir jusqu'à la tension ultime et se concentrer autour du monstre chien sans jamais creuser la douleur qui l'habite. Ne s'intéressant quasiment jamais aux drames humains qui tendaient la trame de l'écrivain.
Dès l'introduction bucolique, le spectateur assiste à la condensation extrême de l'intrigue : deux minutes à peine suffisent à raconter la chasse (innocente ?) d'un lapin par le Saint-Bernard massif, qui se retrouve alors coincé dans la petite ouverture d'une grotte peuplée de chauves-souris enragées. D'entrée c'est un chien malade qui nous est là présenté quand le roman plantait lentement son décor et jouait justement de la tendresse affective de l'animal pour mieux développer les angoisses parentales. Sans compter les hésitations d'une musique qui cherche difficilement l'équilibre entre ses inspirations Petite Maison dans la Prairie et les étranges distorsions sonores supposées lancer les tensions. Quelques minutes suffisent donc à poser de sérieux doutes quant à la qualité de ce qui va suivre, voire à dévoiler
l'irrémédiable absence d'ambition de la production.
Ce qui séduit un peu, c'est la photographie de Jan De Bont. Inégale, pressée par des impératifs rageux de tournage express, l'ambiance générale reste sans grande innovation et plutôt pauvre, mais le directeur de la photographie cherche, expérimente, et sublime dans les lumières crépusculaires ou matinales de beaux paysages, vient caresser d'un plan splendide de tension les courbes de l'automobile, et livre
une efficace séquence de brouillard
où s'effacent les repères et les silhouettes. Les quelques tentatives de jouer l'horreur dans de frénétiques mouvements viennent cependant trahir le manque de finesse des effets spéciaux et diminuer ce qui semblait pourtant l'essence de cette adaptation : le versant gore, sanglant et poisseux de la narration.
Le cinéphile apprécie la présence du tout jeune Danny Pintauro, un an avant qu'il ne rejoigne le casting de Madame est Servie, et de Billy Jayne, le sympathique acolyte de Parker Lewis. Le spectateur se laisse séduire par le jeu de Dee Wallace, mère tour à tour coupable, terrorisée puis combative. Le reste du casting n'a malheureusement pas l'occasion de montrer son talent ou son inexpérience dans
une série de séquences qui défilent telles d'insignifiantes anecdotes sans lien et sans enjeux
sur une insupportable musique d'ascenseur : entre les libertés qui n'apportent rien – cette séquence de rupture déplacée platement chez l'amant quand c'est justement sa présence inattendue au domicile conjugal de l'épouse qui faisait la tension – et le choix visiblement délibéré d'expédier, de torcher, l'ensemble des relations humaines, le film échoue finalement sur cette absence de traitement des enjeux complexes liés aux protagonistes (aucun traitement des tensions familiales internes de la famille Camber par exemple, mais ce n'est pas le seul manque). Bref tout l'aspect intense des enjeux humains, toute cette large part des mécanismes psychologiques est, plus que zappée, niée.
Reste-t-il alors quelque raison de voir Cujo ?
Plantage mémorable par manque d'écriture,
formatage télévisuel préjudiciable,
musique insupportable et négation des personnages, on en vient à se demander comment les comédiens ont réussi à se laisser embarquer dans l'aventure. Jan De Bont a beau tenter de faire de l'image, de prendre – autant que de donner – un minimum de plaisir visuel, face à l'absence de compréhension de l'œuvre autant des producteurs que du réalisateur, il ne peut rien. Rien d'autre que de se débattre, chien enragé, crocs dans le vide, face à l'insondable douleur qui le lève au moindre plan pour le laisser coi, et suspendre le spectateur la bave aux lèvres, hébété face à l'incompréhensible vacuité de l'objet.