Tourné principalement dans un cube de 3m de côté, cette introspection dans l'univers clos et aliénant d'une habitante de Fontainhas ressemble à une version plus réaliste de Cube, le film de science-fiction canadien anxiogène. Plus réaliste, sans doute, car documentaire... ? Pas nettement. Costa a réussi à créer un genre qui lui est presque propre : il arrive à faire parler les hommes et les femmes d'un quartier d'une très belle façon, très naturellement, alors que les cadrages, les intentions à l'image, les entrées de champs, les lumières sont très contrôlées et qu'esthétiquement, le film est totalement accompli de bout en bout. Le film est tourné dans un numérique pas très léché, mais tout est dans la fabrication : un tournage long, comme un travail pour les acteurs qui étaient chaque jour au cœur d'un dispositif de captation du quotidien, réorganisé, remonté et repensé. Par ailleurs, certaines discussions sont aussi préparées, tout ne sort pas magiquement de la bouche des "acteurs", le déroulé du film alterne entre pure séquence réaliste, captée sur l'instant, et entrelacs de véritables écritures. La question du réel est donc pleinement abordée ici, tant ce qui nous est servis est dénué de maniérisme, de codes, de présupposés. Dans un film aussi nauséeux, éprouvant, étouffant, beau aussi, il est presque nécessaire de se mettre aussi en sûreté, de ne pas vivre le film jusqu'au bout, c'est très dur de voir des gens entrer et sortir des maisons, les détruire, les meubler, les effacer de leur mémoire, parler de la prison comme d'une seconde maison, de cubes Knorr comme raison d'enfermement, de trouver ça tragiquement drôle et de continuer le film avec l'espérance de ne pas voir Vanda Duarte - personnage très puissant que l'on retrouvera plus tard dans sa filmographie -, souffrir trop de sa toxicomanie.
Dur et drôle, rebel malgré tout, quand on voit un film de Costa, on comprend toute la confiance, et la délicatesse qu'il a malgré tout envers les habitants de ces quartiers, habitants qu'il filme depuis des années, comme de vrais personnages avec leurs intrigues personnelles et leurs évolutions propres. Vanda, Ventura, Zita... Autant de monde que l'on croisera dans les autres de ses films à Lisbonne, dans ce quartier qui est en pleine destruction dans La chambre de Vanda, et qui sera remis sur pieds pour les besoins des prochains films, d'une façon spirituelle surtout puisque, bien sûr, Fontainhas c'est sale, c'est vilain pour les touristes, et qu'il ne vaut mieux pas en parler et l'oublier en la défaussant du réel.


A travers le film, on perçoit la voix de Pedro Costa, décharnée, calme, assurée et esseulée à chaque nouvelle phrase, c'est très émouvant toute cette histoire qui accompagne le film, encore plus lorsque l'on a la rage et le rejet du réalisateur comme seule obsession filmique.

Narval
10
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le 7 mai 2016

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