Avec Dark market (2023), Park Hee-Kon signe un thriller qui, sous des dehors modestes, semble vouloir chroniquer l’entrée du cinéma sud-coréen dans une ère où l’horreur ne rugit plus dans les recoins sombres mais dans les interfaces numériques. Le film s’ouvre sur un geste presque banal : Soo-hyun, citoyenne comme tant d’autres, achète une machine à laver d’occasion sur Internet. Mais dans le cinéma de Park, même l’électroménager est un cheval de Troie.
Ce point de départ trivial se transforme peu à peu en vertige contemporain : une descente dans les abysses du cyberharcèlement, du chantage numérique et des identités liquides. Autrement dit, le nouveau genre de film d’horreur : celui où le monstre n’a pas de visage mais une identité numérique surchargée.
Park Hee-Kon, souvent plus artisan discret que formaliste flamboyant, surprend ici par une mise en scène d’une étonnante précision. Le cadre respire, les écrans deviennent des surfaces d’angoisse, les silences s’allongent comme des bugs. La tension provient moins des menaces physiques que des notifications surgissant comme des jumpscares minimalistes.
Et l’on rit — jaune, certes — devant cette évidence : l’épouvante moderne n’est plus affaire de fantômes mais de messages reçus à 2 h du matin (ou de livreurs de nourriture ou pire encore ... de dating pervers).
Les interprètes, quant à eux, portent cette tension avec un naturel presque documentaire. L’actrice principale, impeccable, incarne une héroïne ordinaire que le film suit dans sa lente contamination par la peur. Une victime-connectée, algorithme parmi les algorithmes.
Le scénario, s’il fonctionne comme une spirale anxiogène, trébuche parfois sur des décisions un brin naïves, comme si les personnages coopéraient secrètement avec le destin pour que l’intrigue avance. Certaines longueurs rappellent que Park préfère la montée progressive à l’efficacité immédiate, ce qui peut frustrer ceux qui attendent un thriller rodé aux mécaniques occidentales.
Et puisqu’il faut le dire — avec un sourire en coin — Dark market s’inscrit aussi à rebours d’un autre imaginaire encombrant : ici les acteurs ne sont pas des experts en arts martiaux ... Ici, aucune chorégraphie virtuose, aucune bagarre fulgurante… Comme pour signaler que l’époque a changé : la violence est ailleurs, intangible, dématérialisée. Le corps ne cogne plus, il subit les assauts invisibles du réseau. Park tourne ainsi en dérision ce cliché tenace, avec une élégance presque involontaire.
En définitive, Dark market est une œuvre singulière et troublante, qui s’attache à cartographier les nouvelles frayeurs du XXIᵉ siècle. Un thriller imparfait mais habile, où l’angoisse circule à la vitesse du Wifi.
Un film qui montre qu’aujourd’hui, le mal n’arrive plus masqué : il est branché sur le réseau.