Les films qui mettent en lumière les scandales sanitaires provoqués sciemment par l'industrie constituent désormais un genre à part entière. Erin Brockovich a été le premier de ma liste. Celui-ci est le dernier en date mais, par l'ampleur de la catastrophe qu'il dévoile, il se hisse d'entrée de jeu vers les sommets. L'énorme compagnie DuPont, connue aussi de notre côté de l'Atlantique pour ses revêtements en Teflon, a déversé pendant des décennies des tonnes de matières fluorées dans la nature, près de fermes d'élevage, sacrifiant en toute impunité bêtes et gens dans le même mouvement. Il aura fallu presque 15 ans de procédures judiciaires à un avocat obstiné pour obtenir réparation; Todd Haynes nous raconte son histoire, en même temps que son combat. Le gars, un véritable moine guerrier du droit, a investi sa vie professionnelle entière et consenti un nombre insensé de sacrifices pour mener à bien sa quête de justice. Parce que sa grand-mère vivait dans le coin tout salopé par le géant sans scrupules. Et que ses gros clients le prennent au fond pour un plouc. Mais aussi parce que son patron (génial Tim Robbins) a finalement, en dehors de ses obligations de rentabilité, une idée élevée du droit. Le film a cette vertu qu'il met clairement en scène les enjeux sociétaux : d'une part la toute-puissance de l'économie, d'autre part, l'idéal de justice intact en beaucoup de citoyens. Mais aussi le fait que la grosse majorité soit si démunie face à la voracité des psychopathes qui accaparent les rênes. J'espère qu'un jour on aura tous vu suffisamment de ces films salutaires et pédagogiques pour retrouver l'envie de reprendre les manettes aux cinglés à qui on a laissé le champ libre. Mais l'avertissement est clair : en attendant d'atteindre une masse citoyenne critique, ceux qui s'engagent risquent gros. Sauf que leur engagement a autrement plus de sens que la plupart des activités qui nous monopolisent au quotidien... je ne me lance pas là-dessus; à la place, je me contenterai de souligner la maîtrise de Todd Haynes, qui applique à son film une esthétique froide, dépourvue de tout affect, et tient le récit de bout en bout avec la sensibilité discrète qu'on lui connaît. Avec le magnifique Carol et le très ingénieux I'm not there, je tiens là sa trilogie gagnante. Un film d'utilité publique, donc, de la stature des Hommes du Président ou de Pentagon Papers, plus récemment. Dommage que le confinement ait amputé sa carrière en salles...

ChristineDeschamps
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le 28 sept. 2020

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