Bien avant que ça ne devienne un genre à part entière avec ses codes et ses clichés, Jean-Claude Brisseau sortait en 1988 De Bruit et de Fureur l'un des premiers films français à s'interroger sur la banlieue et la violence sous jacente au désarroi sociale qui y régnait déjà à l'époque. Un film qui s'avère assez visionnaire dans le regard posé par son auteur et réalisateur sur un petit monde qui n'en pouvait déjà plus de se suicider.
De Bruit et de Fureur nous raconte l'histoire de Bruno un gamin de 14 ans qui vient vivre dans une cité de Bagnolet afin d'y retrouver sa mère. Il se retrouve dans une classe d'élèves en difficultés et y rencontre Jean Roger , un jeune délinquant violent et difficile avec lequel il va se lier d’amitié.
Pas de rap, pas de shit, pas de "wesh ma gueule" , pas d'histoires d'immigrations ni de communautarisme et pourtant tout le désarroi banlieusard est déjà présent à travers une série de personnages paumés et à l'abandon, tous en quête d'une lueur d'espoir. Et à travers le parcours de ses personnages Jean-Claude Brisseau dresse un portrait implacable de ces espaces confinés ou l'on a entassé toute le misère sociale du monde. Classe surchargée d'élèves en perdition, culture du pas de vague du système éducatif, faillite du modèle parentale avec notamment la mère de Bruno complètement absente du film, guerre de bandes et de territoires, célébration du rapport de force, présence policière en recul et culte d'une violence vue comme un instrument de plaisir et d'exaltation pour soit et non de souffrance pour les autres. De bruit et de Fureur frappe souvent fort car il frappe juste mais cet avertissement n'aura finalement rien changé et le malaise ne fera que s’amplifier dans une spirale fatale dont Jean-Claude Brisseau semblait prédire le cheminement. Jamais unilatéralement et caricaturalement positifs ou négatifs le film s'appuie sur une série de personnages qui au delà de leur violence et leur arrogante façade sont tous en quête d'une étoile , d'une lueur d'espoir et d'amour à laquelle se raccrocher désespérément. Le jeune Bruno livré à lui même avec un mère qui ne communique avec lui que par l'intermédiaire de messages écrits laissés dans l'appartement s'égare dans un univers fantasmagorique et cherche à trouver sa place entre la rue qui lui tend les bras et l'école qui lui fait enfin sentir qu'il n'est pas juste un bon à rien par la grâce d'une institutrice motivée par la perspective de sauver ne serait ce qu'un élève de sa classe. Quant à Jean Roger, petite frappe à la gueule d'ange mais souvent détestable, il recherche l'affection d'un père brutal, autoritaire et voyou qui lui même court après l'affection de son autre fils qui lui échappe en choisissant la voie de la respectabilité. Tout ce petit monde se frotte, s'égratigne et se défie avec souvent comme seul langage la violence des rapports humains. Même si Jean-Claude Brisseau parvient rarement à impacter le spectateur par la mise en scène qu'il en fait, la violence gratuite, bête, méchante et révoltante est omniprésente dans le film avec des animaux qu'on torture pour le fun, des clochards qu'on tente de cramer juste pour rigoler, des institutions qu'on insulte et menace (l'institutrice , l'assistante sociale), des filles que l'on viole et des meurtres qu'on exécute dans une totale indifférence. Le film utilise durant toute sa durée une symbolique liée à l'oiseau allégorie d'une liberté mise en cage et contrainte que l'on retrouve jusque sur l'affiche du film avec La Colombe de René Magritte aux ailes enflammées par un cocktail molotov.
Le film s'appuie sur un très bon casting avec le jeune Vincent Gasperitsch dans le rôle de Bruno mais bien que confondant de naturel De Bruit et de Fureur restera son seul et unique film. Dans le rôle de Jean Roger, François Negret bouffe l'écran avec un personnage aussi détestable que parfois profondément attachant dans son désespoir. Et dans le rôle XXL du père de Jean Roger , Bruno Cremer fait des merveilles avec un personnage aux limites de la caricature mais sacrément inquiétant. Truand adepte de la violence dans le moindre rapport humain, s'amusant à tirer au fusil dans son appartement, usant de la force et de la menace à la moindre occasion on devine en filigrane pour compléter ce joli tableau que cet ancien de la guerre d'Algérie est aussi un père incestueux. La touche de douceur et d'espoir sera incarné par Fabienne Babe tout en fragilité diaphane dans le rôle de cet prof bienveillante mais souvent dépassé par la violence qui l'entoure. En contrepoint j'ai quand même trouvé que de nombreux comédiens et comédiennes non professionnels tirent parfois un peu le film vers le bas et que certaines situations virent à l’excès et la caricature.
Même si l'absence de personnage vraiment attachant m'empêche de pleinement éprouver de l'émotion face au film et que la mise en scène de Jean-Claude Brisseau manque de puissance pour pleinement exprimer la violence, il n'empêche que De Bruit et de fureur est un film puissant, visionnaire et qui marque les esprits.