Réussir à ne jamais prendre parti, alors que le thème abordé est si radical, est le tour de force de Richard Brooks. Armé d'un sens de la lumière prodigieux et d’un coup d’œil affûté qui lui permettent de placer ses personnages dans les zones fortes de ses cadres, l’homme filme les mécaniques insaisissables de l'être humain, celles qui en font une boule de nerfs capable de compassion après avoir commis le pire. Dirigés à la perfection, Robert Blake et Scott Wilson mènent la vie dure à une audience qui ne sait jamais vraiment sur quel pied danser, cette dernière nourrissant pour les deux bonhommes un profond dégoût et une empathie évidente dans le même temps.


Montage et narration se complètent de manière subtile pour construire deux portraits particulièrement troubles. Le premier cache son désespoir de vivre derrière un tempérament fougueux qui le transporte aux frontières de l’autodestruction, le second continue tant bien que mal à respirer sans vraiment y parvenir : à l’image de cette jambe qui l’empêche de se mouvoir correctement, son âme est éteinte depuis longtemps, depuis le jour où la botte d’un père détruit lui a indiqué la porte de sortie.


On pourra pointer du doigt le rythme nonchalant de In Cold Blood, on pourra également maugréer alors que Brooks fait mine de se défiler quand l’action se fait la malle du cadre via une ellipse peu glorieuse au moment clé. Mais tout vient à point à qui sait attendre, et In Cold Blood en est la parfaite illustration. De cette esquive feinte naît la montée en puissance d’un film qui garde ses cartouches pour la fin : il faut avoir un cœur de pierre pour ne pas sentir la puissance du final annihiler ses dernières forces. C’est le cœur éteint devant l’équation sans solution qui tente de cerner l’homme et son esprit que l’on pose la télécommande sur la table basse.


En découle un état cotonneux difficile à appréhender, une impression d’avoir été témoin d’une prouesse rare : parvenir, à ce point, à capturer l’essence même du mal en évitant de sombrer dans un tas de lieux communs est envoûtant. Illustrer le pire, sans attiser la répulsion qu’il inspire, ni esquisser un début d’explication, se cantonner aux faits sans prendre position, telle est l’épopée glaciale que relève Brooks avec fougue et une intelligence certaine dans In Cold Blood.


Damn, quelle séance.


xxxxx
Ne manquez pas ces quelques captures qui sont bien loin de rendre hommage à la photographie de dingue de Conrad Hall, mais elles donneront envie à tous les amateurs de belles images de jeter un oeil curieux à ce film qui mérite plus que le détour.

oso
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le 20 mai 2017

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oso

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