Les gens sages vont au cinéma, les gens bienveillants restent dans la salle

Ce qui surprend d'abord, c'est le classicisme absolu du point de départ : sur mon fauteuil rouge, j'ai vu une femme "fatale" qui séduit un flic vieux loup rendu insomniaque par le fonctionnement de son cerveau. Il connaît la ville et lèche les indices pour trouver le meurtrier.


Résumons : Nous suivons Hae-Joon qui enquête sur la mort d'un homme et finit par soupçonner Sore, la femme du défunt. Ils développent une relation qui biaisera sa résolution de l'enquête, car... l'AMOUR.

Sous couvert de son pitch classique comme un pitch au chocolat, Park Chan-Wook s'approprie les codes avec sa patte toute personnelle, pour les tordre et créer un film en deux parties. Alors que le film policier se termine, commence un drame romantique, d'un policier brisé par sa précédente enquête, vidé de ses passions.

La musique composée de cordes stridentes est à la fois dérangeante par son aspect discordant et toute aussi "classique revisité".

La réalisation est parfaitement maîtrisée, avec des coupures brutales, qui nous montrent qu'on est bien dans la tête d'un flic insomniaque. Ce point de vue interne et incarné est porté par des moments où, alors que le détective Hae-Joon est en planque, il se matérialise carrément près de la personne qu'il observe, créant des moments à la Ghost ou il est assis sur le canapé de la suspecte à la reluquer tout en l'espionnant, intangible mais présent. Le trope du palais mental, c'est dépassé : lui se décorpore. Super pouvoir super utile : on se l'accordera.

Il zoome sur les objets. Relève les indices. Refuse de vivre avec sa femme car c'est un SUPER FLIC oui, on vous l'a dit. Il affiche même les meurtres non résolus dans son salon.

Sore va venir faire dissoner tout son personnage bien cohérent et lui apprendre à dormir. Ce n'est pas juste la femme fatale, c'est la femme idéale et tout nous le prouve : l'inspecteur et sa suspectent mangent en salle d'interrogatoire des sushis de luxe comme lors d'un date et rangent de concert comme s'ils avaient été mariés despuis 20 ans. Et elle résout même des enquêtes à sa place. Bref, elle est bien meilleure que la femme du héro.

Et finalement, c'est le drame.

Sore est bien coupable malgré des circonstances très atténuantes. Et en bon personnage de film noir, l'inspecteur décide de l'épargner.

Fin du premier acte.

Là, j'étais contente mais un peu désorientée. Ce premier film est si classique qu'il en frise la citation de Hitchcock. Pourquoi, Park ? Pourquoi ? Pourquoi alors que tu as fait Stoker, ce chef d’œuvre magistral, tu éprouves le besoin de tourner ce polar qui ressemble sur le fond à n'importe quel polar ? D'habitude c'est Hollywood qui remake tes films et pas l'inverse !


Sauf que là commence le second acte. Réalisé différemment, avec des plans plus longs, le flic n'existe plus. C'est un policier médiocre de la campagne. Il a perdu... SON SWAG. Il vit avec sa femme qui lui reproche la perte de son SWAG et élucide des disparitions de tortues.

Et là réapparaît Sore, en pin-up de mafieux blonde. Oui oui.

Je me dis : j'ai bien payé pour un seul film ? Les mêmes petits vieux du 5 caumartin sont toujours bien autour de moi.

C'est là que se trouve l'originalité de l’œuvre et qui fait crier au génie.

Sauf que...

...Pour qu'un drame romantique fonctionne, il faut compatir pour les personnages et souffrir avec eux. Y être attachés pour comprendre leur attachement. Sinon tu vois juste des personnes atteintes de problèmes psychologiques.

De mon côté, ça n'a pas marché. Déjà parce que les changements de réalisation, moins nerveuse, plus contemplative, ne m'ont pas convenu, mais aussi parce que j'ai trouvé... les personnages ridicules.

Je me doute que tout ceci est volontaire. Le réalisateur veut peut être montrer que le choix effectué par le policier dans la partie 1 a eu des conséquences dramatiques pour les deux personnages, les transformant en... grossières caricatures de personnages de drama ? Cela fait ressortir leur côté creux. Le dieu réalisateur se donne le droit changer la fonction des personnages brutalement pour construire sa narration.


C'est pourquoi deuxième partie ne m'a pas du tout émue, sauf peut-être un peu à la fin.

La mayonnaise n'a pas pris. Peut-être parce que justement parce que les personnages ont perdu ce qui faisait leur intérêt. Je ne sais pas. Ce qui fait l'originalité du film me l'a rendu désagréable, et m'a fait paraître le temps long, si bien que j'ai regardé l'heure plusieurs fois.


Bref. J'ai accordé 5 étoiles au film, car la première partie me semble valoir le coup. Mais le reste du film, qui devait faire le sel de l’œuvre, a raté son but.

Armie
5
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le 12 juil. 2022

Critique lue 44 fois

Armie

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