Qui est le film ?
Deux femmes en or de Chloé Robichaud s’inscrit à la fois dans la continuité et la rupture. Continuité d’un cinéma québécois qui interroge le couple et les mutations du féminin, et rupture vis-à-vis du film original de Claude Fournier (1970), farce érotico-burlesque symptomatique d’une époque où la libération sexuelle se rêvait en révolution joyeuse. En revisitant ce mythe mineur, Robichaud fait le diagnostic d’un monde post-libératoire où l’ennui a remplacé l’émancipation. Deux voisines, Violette et Florence, cherchent à ranimer un désir qui semble s’être dissous dans la fatigue du couple, la gestion domestique et l’éthique du bien-être. En surface, Deux femmes en or promet une comédie de mœurs, mais son rire masque la mélancolie d’un désir épuisé.

Que cherche-t-il à dire ?
Ce que Chloé Robichaud ausculte, c’est la panne du désir comme symptôme d’époque. Là où Fournier filmait la curiosité sexuelle comme un geste libérateur, Robichaud filme son assèchement. Cinquante ans ont passé, et si les femmes ont conquis leur autonomie, leur liberté s’est parfois muée en surcharge : charge mentale, charge affective, charge d’image. Le désir n’est plus réprimé par le patriarcat, mais absorbé par la rationalité du quotidien. Ce que Deux femmes en or met à nu, c’est l’aliénation invisible du confort moderne, où la performance affective a remplacé la passion, et où l’égalité n’empêche pas la solitude.

Par quels moyens ?
La banlieue pavillonnaire du film original devient une coop d’habitation écologique où tout est durable, sauf le désir. Tout y respire la gestion émotionnelle et la bienveillance. En privant ses héroïnes de désordre, Robichaud montre comment le progressisme lui-même peut devenir une cage.

La caméra de Robichaud, souvent frontale et fixe, cadre les héroïnes dans des gestes mécaniques : allaiter, plier, traduire, ranger. Le corps n’est plus pulsion mais des habitudes bien ancrées. Lorsque le désir ressurgit, il se heurte à ces automatismes.

L’humour, omniprésent, vise autant à divertir, qu'à désamorcer la honte. Les hommes de passage (plombier, livreur, agent d’entretien) deviennent les figures grotesques d’une libido réchauffée au micro-ondes. Robichaud détourne la farce sexuelle pour révéler la gêne, la maladresse, la désuétude du fantasme.

Violette et Florence incarnent deux visages du féminin contemporain : la mère épuisée et la professionnelle désaffectée. L’une est saturée de présence, l’autre de solitude. Elles ne s’opposent pas, elles se répondent. Leur amitié progressive, presque accidentelle, agit comme une forme de thérapie partagée, un apprentissage du manque. C’est dans leur dialogue que le film trouve son souffle : deux voix qui tentent de se réaccorder à leurs corps.

Où me situer ?
Je regarde Deux femmes en or avec un mélange d’admiration et d’inquiétude. Admiration pour ce geste d’archéologie du féminin, pour cette volonté de filmer l’épuisement sans le travestir. Je l'admire pour tous ses rires qu'il m'a procuré.
Mais il n'estpas exempt de quelques flottement, de rupture de ton maladroit, mais plutôt que d’affaiblir le film, ça le rend paradoxalement plus sincère. Il exprime la tension même de son sujet : comment mettre en scène une libido qui vacille, un désir qui ne sait plus à quel corps se vouer ? Robichaud ne prétend pas savoir. Elle observe, écoute, et c’est peut-être là sa plus grande justesse.

Quelle lecture en tirer ?
Robichaud ne filme pas des femmes frustrées, mais des femmes désaccordées : désaccord entre ce qu’elles veulent, ce qu’elles croient vouloir, et ce que la société attend qu’elles désirent. Le film, alors, ne propose pas de solution. Et là où d’autres films cherchent à raviver la flamme, Robichaud choisit également de filmer sa cendre.

cadreum
6
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le 10 oct. 2025

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cadreum

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