Cedric Klapisch est un réalisateur qui compte pour moi depuis l’Auberge espagnole. Pour une raison que j’ignore (et si mes souvenirs sont fidèles), j’avais vu ce film dans le cadre d’une sortie scolaire. Et je l’avais revu au cinéma avec un ami et sa mère. J’en avais été fasciné, j’avais rêvé d’Erasmus. Je n’avais que 12 ans lorsqu’il est sorti et je me disais que ce que je voyais à l’écran, c’était ça avoir 20 ans. Klapisch a un vrai don pour capter ce que vivent et ressentent ses personnages. Bien évidemment, quelques années plus tard, mes 20 ans n’ont pas tellement ressemblé à ceux de Xavier; mais c’était avant tout à cause de mes choix, cela n’enlevait rien à l’authenticité de l’Auberge. J’avais tellement rêvé devant le premier que je suis resté fidèle à la trilogie en salles avec Les Poupées Russes puis Casse tête Chinois. La trentaine, et d’autres problèmes. Le Péril Jeune est également un film qui capte une certaine jeunesse, mais une façon de vivre qui m’attirait beaucoup moins pour le coup.


Deux moi sorti en 2019 parle de moi. Complètement. De façon viscérale, et tellement juste. C’est l’histoire de deux trentenaires qui habitent l’un à côté de l’autre à Paris, qui se croisent mais ne se rencontrent pas. C’est l’histoire d’une génération prisonnière de son époque, de ses applications de rencontres, de ses réseaux sociaux qui au lieu de relier ne font qu’éloigner les gens de plus en plus à force de rendre toute tentative de relation humaine artificielle.


Mais ce n’est pas que cela. Dans ce film, il y a une somme d’éléments qui me parlent. Des psy. Des gens qui vont voir des psys. Parce qu’ils se sentent seul, déprimés, qu’ils ont du mal à se lier, ont vécu des traumatismes. Ont du mal à appréhender les autres.


Lui, Remy, salarié d’une entreprise de logistique, qui voit un plan social frapper sa boite, qui a du mal à dormir et qui vit dans une immense solitude. Elle, Mélanie, chercheuse, dort trop, ne parvient pas à se remettre de sa dernière rupture, sweep plus que de raison sur les applications de rencontres pour des rencontres plus nulles les unes que les autres. François Civil et Ana Girardot sont criants de vérité dans ces rôles de trentenaires perdus. Lui, renfermé à cause de tous les non dits qui sclérosent sa famille. Elle tellement fragile, vulnérable, sensible, et pourtant, si forte au fond (son visage est fait pour les gros plans).


Mais ce sont les psy qui font tout le sel de ce film. François Berléand et Camille Cottin balancent tout un tas de répliques que chaque personne devrait marteler. Ce sont presque des aphorismes, voyez plutôt.
Lui, pèle mêle: « N’ayez pas peur de faire. Ayez confiance en vous. Vous avez le droit d’être heureux. Vous ne portez pas la poisse. »
Elle: « Pour que deux moi soient nous, il faut que soi soit soi. Faites confiance à la vie. N’ayez pas peur d’être amoureuse, d’être heureuse. La fragilité est parfois une force. Quand quelqu'un part, c'est comme lorsque quelqu'un meurt, il faut faire un travail. »
Cela peut vous sembler être des évidences, mais si les choses étaient aussi faciles, cela se saurait. Ça ne fait pas de mal de se le faire rappeler de temps en temps. Car oui, en effet, dans la quête du bonheur, il convient de faire, d’agir. Aristote ne disait pas autre chose dans l’éthique mais tout de même, il est parfois compliqué de faire. Surtout lorsque cela implique l’autre. Comment l’appréhender. Comment ressent-il les choses ? Que pense t-il de moi ? Les personnes un peu torturées, sensibles, se posent ce genre de questions et à force de se les poser, oublient un peu d’agir. Et sans action, pas de rencontre.


Car il n’est pas suffisant d’être en face d’une personne pour la rencontrer. La rencontre ne peut pas se limiter au physique. On recherche évidemment quelque chose de plus profond. Un échange, une connexion, une connivence. Une compatibilité. Et pouvoir appréhender l’entièreté de la personnalité d’une personne, on ne peut parle faire en lisant un profil sur internet, même scrupuleusement renseigné. On peut encore moins le faire en regardant une simple photo. Mais c’est pourtant ce qui se passe (cf Modern Romance d'Aziz Ansari).


Comme le dit si bien le personnage de Mélanie lors d’une conférence sur la recherche contre le cancer « Toute relation vivante nécessite la rencontre de corps étrangers »


Pour être vivant, il faut faire des rencontres. Et encore mieux, il ne faut pas avoir peur d’en faire. Et en ayant confiance en la vie, le glorieux hasard fera son office. Là où chez Rohmer dans Conte d’automne, il est provoqué. Dans deux moi, le hasard devient l’évidence. Ayez confiance aux hasards de la vie.
PS: En plus, ce film utilise le Clavier bien tempéré de Bach. Encore une raison de plus de l'aimer !

Andika
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le 28 oct. 2019

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Andika

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