Pour ses fantômes qui hantent les mémoires, pour ces pères et mères perdus, infects ou toxiques qui peuplent l’écran comme autant de remords vivants, pour toutes ces scènes où Charlotte Rampling incarne de manière exemplaire( froide, magistralement antipathique) la cruauté et raideur d'une femme luttant contre l’effritement du souvenir , il faut voir les deux Pianos . Pour ses lettres-couperets envoyées face caméra , signature de Despléchin. Pour Hippolyte Girardot, flamboyant et facétieux, qui n’a jamais été aussi bon depuis des années, jouissant de lancer : « Pourquoi toujours vouloir tout réparer ? Laissons tout foutre le camp, la débâcle ! »
Aux côtés de ce duo électrique, François Civil apporte une sobriété et force fragile, et Nadia Tereszkiewicz offre au film son don d’émotion pure. Les deux pianos — celui de l’histoire comme celui des sentiments — s’accordent et accueillent la dissonance de la gravité dans un classicisme un peu démodé, mais solidement arrimé. Si le dernier Desplechin ne convainc pas entièrement, il laisse affleurer, par instants, la musique tourmentée et âpre de nos fauves intérieurs.