le 5 nov. 2025
La procédure impitoyable
Documentariste chevronné de l’Union Soviétique des conséquences de son effondrement, Sergeï Loznitsa n’avait plus opté pour la fiction depuis 2017, lorsqu’il avait présenté l’éprouvant Une femme...
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Deux procureurs nous transporte en 1937, au temps des "grandes purges staliniennes". En une période aussi dangereuse, éviter de prendre des risques, surtout quand on manque totalement d'expérience professionnelle, devrait être un must pour Alexander Kornev, le jeune procureur, héros du film de Sergei Loznitsa. C’est le seul reproche qu’on peut lui faire. Il est intelligent, courageux, tenace, intègre, déterminé mais... il reçoit de multiples avertissements (implicites ou explicites) lui conseillant d'oublier la requête d'un détenu mystérieusement parvenue à son bureau (et écrite avec du sang, sur une semelle de soulier) et de ne pas s'intéresser au sort de ce détenu et au bien-fondé ou non des accusations qui l'ont conduit à être emprisonné dans un bâtiment spécial réservé aux prisonniers politiques particulièrement "nuisibles" de la région. Mais Kornev ne tient pas compte de ces avertissements. Il vient d'être nommé procureur, il est membre du parti communiste, il croit en la justice de son pays, l'Union Soviétique et sait qu’il la représente. Il pense, après avoir rencontré le détenu (Stepniak, un vieux professeur de Droit, je crois), que la justice de sa ville (Briansk, capitale de l’oblast du même nom, 400 km au Sud-Ouest de Moscou) est tombée aux mains de "fascistes contre-révolutionnaires" infiltrés dans l’organe local du NVKD, la police politique du pays. Il décide d’aller sur le champ, à Moscou, en informer le sommet de sa hiérarchie, le "camarade" Vychinski, lui-même procureur général de l'Union Soviétique. Il a bon espoir que son chef ultime l'écoutera avec intérêt et faveur. Il n'attend rien pour lui, il oeuvre pour son pays, son régime.
Le démarrage du film est assez lent et vraiment misérabiliste. C’est tourné en décors réels, dans une vraie, énorme et très ancienne prison du temps des tsars, avec des gardiens aux mines patibulaires qui n’ouvrent les serrures des multiples portes (donnant sur de longs corridors désolés) qu’avec beaucoup de mauvaise grâce. On met ainsi un temps fou à arriver jusqu’au prisonnier… qui est dans un état de faiblesse et dénuement ultra limite. L’entretien entre le jeune procureur et le vieux professeur de Droit est éprouvant pour eux et pour nous. Que le jeune Kornev réémerge de ce lieu de désolation et de mort apparaît presque comme un miracle. Le train à bestiaux (ou quasiment) qui l’emmène dans la capitale moscovite est peuplé de pauvres gens au milieu desquels il fait tache parce qu’il est vêtu col blanc et cravate. Tout de suite, un vieillard le prévient implicitement, en lui relatant ses propres mésaventures, que se rendre à Moscou (ou Saint-Petersbourg) est souvent plus que décevant, qu'il n'y a rien à en attendre. Mais Kornev, quand il n’est pas intéressé ou s’ennuie, a tendance à s’assoupir et c’est ce qu’il fait dans la longue séquence du "train des pauvres". Le voilà à Moscou, devant le ministère de la Justice où l'on entre presque comme dans un moulin. Il est décidé à rendre compte au "camarade" Vychinski de ce qu’il a découvert en rendant visite à ce malheureux détenu de Briansk. La séquence, une fois entré dans le Ministère, du large escalier plus ou moins en colimaçon de six ou sept étages que chacun se presse à monter ou descendre, nous fait vivre le moment kafkaïen du métrage : l'activité déployée tout le long de cet immense escalier semble avoir ni queue ni tête. Kornev n’a pas rendez-vous avec le procureur général, mais en insistant beaucoup (trop) et en faisant longtemps antichambre, il parviendra à s’entretenir avec Vychinski. L’entretien est sûrement l'acmé du film, son moment-clé. Malheureusement, quand on voit cette séquence en salle, on ne peut pas faire "Pause", retour en arrière et réécouter une ou deux fois le passage pour bien comprendre l’échange entre les deux procureurs. Si le début du film est trop lent, son pic est, lui, trop rapide : impossible d’enregistrer tout ce qui s'y dit, particulièrement ce que dit Vychinski. Quoi qu’il en soit, Kornev obtient, semble-t-il, plus ou moins gain de cause : un blanc-seing du procureur général (alors, la plus haute autorité d’Union Soviétique en matière de justice) et un retour en train-couchettes tous frais payés pour Briansk afin de constituer un dossier médical concernant ce Stepniak à qui les gardiens du bâtiment spécial de la prison cherchent par la torture à extorquer l’aveu de fautes imaginaires. Quittant le procureur général, Kornev est reconduit en grandes pompes (dans une sorte de Rolls soviétique) jusqu’à son train-couchettes. On arrive aux deux dernières séquences : l’une en train assez longue, l’autre en voiture plus courte. Je ne les déflore pas. Et il y a un plan final qui réédite le plan (la scène) d’ouverture. Les deux procureurs sont remarquablement interprétés. Les acteurs secondaires ne sont pas mauvais et les figurants (notamment ceux du "train des pauvres") pas si mal choisis et assez crédibles. La photographie (d’Oleg Mutu) est remarquable, digne de Vermeer et on peut dire qu'elle met du beurre (un peu de beauté) dans les épinards amers de cette affaire politico-judiciaire. J’ai attribué "8 " au film, parce que son dénouement vous administre quand même une sacrée claque. C’est le genre de film qui, indépendamment du plaisir qu’on peut prendre à le regarder, fait ré-flé-chir et qu’on garde en tête plusieurs jours durant. Ok, le réalisateur est ukrainien et son film : un terrible réquisitoire contre le régime soviétique (on n’en est pas surpris), mais au-delà de ça, on ne peut pas s’empêcher d’extrapoler... Police partout, justice nulle part.
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Créée
le 20 nov. 2025
Critique lue 15 fois
le 5 nov. 2025
Documentariste chevronné de l’Union Soviétique des conséquences de son effondrement, Sergeï Loznitsa n’avait plus opté pour la fiction depuis 2017, lorsqu’il avait présenté l’éprouvant Une femme...
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