Eblouissant.
C'est l'adjectif qui m'est venu à l'esprit à la fin du visionnage de cette Palme d'Or 2015, et également celui que j'emploierais pour qualifier plus globalement l'oeuvre de Jacques Audiard.


Aucun de ses films ne m'a déplu jusqu'ici, ils sont à chaque fois originaux, inspirés, vibrants, beaux, cruels - absolument poignants.


Dheepan ne déroge pas à cette règle vertueuse en nous proposant cette fois de suivre une fausse famille de srilankais fraîchement débarquée en banlieue parisienne et qui vont bien vite plonger dans le quotidien violent d'une cité, où Dheepan, le personnage principal, a trouvé une place de gardien. Il vit avec Yalini et la petite Illayaal et tous trois tentent tant bien que mal de s'acclimater au plus vite. Yalini (la bouleversante Kalieaswari Srinivasan ) trouve un petit boulot de femme de ménage chez un voisin, où elle fait la connaissance de Brahim (Vincent Rottiers, décidément toujours abonné aux rôles de petite frappe).


Je ne vais pas développer davantage l'histoire mais plutôt me pencher sur les très nombreuses qualités de ce drame qui n'a pas volé - et loin de là - sa récompense.


Le choix d'Audiard de faire tourner des inconnus, dans leur langue maternelle, est absolument excellent et participe de l'attachement et du profond sentiment d'humanité qui se dégage de ce film. J'ai aimé le regard de ces personnages sur la France - son école, son humour - le décalage qu'ils ressentent dans l'expression des émotions, la difficulté de communiquer : tout cela est parfaitement bien rendu par Audiard, avec une grande compassion et sans jamais verser dans un quelconque misérabilisme ou commisération. Au contraire, on est très vite touché par le courage et la volonté de ce trio bancal mais solaire qui ne demande rien à personne et cherche seulement à survivre. J'ai été émue par la scène des jonquilles, par la tendresse qui émane de la gamine, par le sourire de la jeune femme sous ses foulards colorés : tout est beau, juste - sans fausse note aucune, jamais.


Alors bien sûr, Audiard grossit un peu le trait de la violence des cités (quoique, pour ceux que ça intéresse, un excellent ouvrage vient de paraître : le témoignage d'un journaliste qui a passé dix ans dans les quartiers nord de Marseille et croyez-moi, parfois la réalité dépasse la fiction), pour le bien de la montée de la tension, pour installer ce climat dramatique propice à l'explosion. Moi aussi j'ai été très étonnée par le virage que prend le scénario vers la fin mais : et alors ? Sommes-nous dans le documentaire ou dans la fiction ? Audiard n'est-il pas maître d'accoucher des scènes qu'il souhaite ? On sait que ses films s'accompagnent toujours de scènes violentes - encore qu'ici, il y en ait finalement assez peu sur la durée : pour moi, la scène de fin, celle de la montée de l'escalier par Dheepan, cadrée sur ses jambes enrobées de fumée, avec les coups de feu et la musique menaçante : que peut-on trouver à redire à cette perfection de la mise en scène ? A cette maîtrise absolue de l'action ? Sans parler de la scène qui suit, quand les personnages se prennent dans les bras : la puissance du cadrage sur les yeux, la beauté de la photographie m'ont époustouflée. A bien des égards, Dheepan m'a rappelée Un prophète par sa violence, le récit centré sur un personnage au parcours initiatique, le grain de son image et son réalisme social.


Il est vrai que l'arrivée des personnages en Angleterre à la fin, presque considérée comme une Terre promise depuis le début du film, pourrait agacer (n'aime-t-il pas son pays natal, M. Audiard ?) mais franchement, c'est un minuscule détail du scénario qui ne remet pas en question la brillance générale de ce film qui, pour moi, est un chef-d'oeuvre de justesse.


Pour toutes ces raisons, et malgré certaines petites invraisemblances ou excès, je ne peux que tirer mon chapeau au grand Jacques qui, décidément, semble incapable de commettre un mauvais film.

BrunePlatine
9
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le 21 janv. 2016

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