La Palme d’Or a beau être le prix le plus prestigieux du cinéma mondial, elle n’en reste pas moins controversée. On ne compte plus les années où l’heureux élu divisa, il n’est donc pas surprenant que ce soit le cas pour « Dheepan » de Jacques Audiard, dernier palmé doré en date. Cela met en tout cas le doigt sur deux ambiguïtés de cette récompense, qui s’appliquent bien au choix de cette année 2015. En premier lieu, il y a certaines palmes d’Or qu’on peut légitimement considérer comme des récompenses pour la carrière du réalisateur dans son entièreté, la Palme du meilleur réalisateur étant inexistante. Le film primé ne serait alors qu’une « facade » pour célébrer une carrière antérieure d’autant plus remarquable. Il y a aussi l’aspect politique de la récompense, la Palme d’Or se placerait alors comme tremplin d’une œuvre engagée célébrée pour son propos plus que pour ses qualités cinématographiques. Mais derrière tout ça, qu’en est-il concrètement de « Dheepan » ?


Dès son introduction où les corps humains s’entassent sur un bûcher, témoins inertes d’une guerre comme toujours destructrice, celle du Sri Lanka, Audiard affirme un souci de réalisme, s’effaçant derrière la caméra pour capter l’authenticité sociale, aussi désolante soit-elle, de la situation. Dheepan n’est pas le vrai nom du personnage principal, ancien militaire devenu migrant qui a tout perdu dans cette guerre. En partant pour La France, il est non seulement contraint de tout laisser derrière lui, mais en plus de se greffer une vie factice : sa femme et sa fille, il ne les connaît pas. Extorquant tous trois les papiers d’identités d’une autre famille pour assurer leur départ, ils arrivent en banlieue française étrangers des autres habitants et étrangers les uns des autres. En Occident, les familles recomposées sont le résultat de divorce. Ici, c’est dans l’adversité que cette famille se lie tant bien que mal.


Des relations d’ailleurs traitées avec subtilité, la fille de neuf ans cherche dans ses « nouveaux » parents un amour qu’ils semblent incapables de pouvoir donner, tandis que les deux adultes broient le noir qu’a laissé la disparition de leur vie passée. La perte de repères est tout aussi bien extérieure : incapables de comprendre dans un premier temps les français qu’ils croisent, leur intégration semble perdue d’avance. D’autant plus lorsque les premiers coups de feu éclatent, dans une dernière partie particulièrement décriée qui confère pourtant toute sa force au propos du film. Et qui déploie d’ailleurs les quelques rares séquences réellement audacieuses, entre cet éléphant rodant au milieu de nulle part, le lâcher menaçant de mobilier depuis le toit d’un immeuble et surtout la montée d’un escalier enfumé où les petites frappes de banlieues sont abattues pour le moins méthodiquement.


Le casting fabuleux permet en tout cas de dessiner des psychologies instables, torturés et effrayés avec émotion et sens du drame. Si la toute dernière séquence manque clairement de subtilité, on sent qu’elle vient du désir d’Audiard d’enfoncer le clou une bonne fois pour toute, de rejeter sans concession le système français, quitte à ce que ce soit sans finesse. Encore une fois, difficile de lui donner tort.


N.B : Après lecture d'une interview du réalisateur dans Positif, il s'avère que son intention pour la dernière scène n'était pas du tout politique. Même si, il faut bien le dire, cela donne vraiment cette impression.

Marius_Jouanny
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le 22 sept. 2015

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Marius Jouanny

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