Question susceptible de fâcher : Django Unchained est-il le premier grand film de Tarantino depuis dix-neuf ans ? Naaa, impossible. Attendez voir. Après Pulp Fiction, il y a eu quoi ? Jackie Brown, tentative loupée de reproduire l'effet Pulp, la faute à un péché d'égocentrisme (classique chez un jeune réalisateur dont on a célébré le précédent film), et à un personnage principal aussi charismatique qu'un sandwich avarié. Kill Bill, épatant bolide d'entertainment décomplexé, techniquement virtuose, mais malheureusement limité par sa qualité de film-hommage dont on fait rapidement le tour. Kill Bill 2, tout pareil, mais en réduction (trop de blabla). Death Proof, nouvel exercice de style cette fois-ci moins ambitieux, qui lui permet néanmoins d'illustrer de nouveau son talent de faiseur d'image avec une course-poursuite mémorable... suivant malheureusement une première moitié péniblement bavarde et autoréférencée. Et enfin, Inglorious Basterds, authentique foirage tout juste sauvé de l'oubli par sa scène d'ouverture, Christophe Waltz, et quelques tueries marrantes. Un, deux, trois... dix-neuf. Sérieusement ? Dix-neuf ans ? Il faut croire que oui, c'est possible.


Il aura fallu près de vingt ans à la rock-star pour se remettre en question, et tirer de cet exercice salutaire quelque chose de neuf, et de réussi. Parce que Django Unchained est incroyablement réussi. Emballé dès sa scène d'introduction, animée par la même électricité que tout le reste du film. La patte du cinéaste est flagrante, et ses gimmick reconnaissables entre mille, mais il y a dans ce spectacle une fraîcheur qui lui confère une sensation de liberté que l'on croyait disparue depuis longtemps. La faute à la mise à jour d'une inspiration esthétique (donc), mais également narrative, car le scénario de Django Unchained est un modèle d'équilibre entre premier degré parfois intimidant (voir le close-combat à à mort entre deux esclaves dans le salon du bad guy) et déconnade typique (voir l'hilarante façon dont le Professeur embrouille les gars du KKK). Un équilibre qui permet de s'attacher à l'histoire, et aux personnages de sortir du statut de vignette qui limitait tant les précédents personnages de Tarantino.


Par ailleurs, au-delà du caractère polémique de son sujet (l'esclavagisme américain) et du fameux emploi du mot maudit, Tarantino évite heureusement le piège du manichéisme avec l'excellent personnage du valet-kapo noir, interprété en roue libre par Samuel L. Jackson. Ce dernier nous épargne l'opposition entre des Noirs TOUS "petites victimes intrinsèquement bonnes et généreuses", face à des blancs à ranger pour la plupart dans la case "bande d'abrutis édentés et illettrés". Une nuance fondamentale.


La qualité d'un Tarantino se juge souvent par la qualité de sa bande originale. Après celle de Kill Bill 2, inférieure à celle du précédent opus (utilisation décevante du grandiose L'Arena de Morricone), celle de Death Proof, un peu trop spécifique, et celle d'Inglorious Basterds, poussive (mention à l'utilisation désastreuse du Cat People de Bowie) et mal fichue (Morricone ne fonctionne pas partout, surtout à cette quantité), on tient là un joyau de sélection musicale, dont le lyrisme décalé donne toute sa saveur aux scènes d'action tarantinesques.


Bien sûr, Christophe Waltz est fabuleux en figure idéale de professeur qui tue certes mais cordialement, de même que DiCaprio dans un personnage d'ordure flamboyante qu'on adorera détester ; quant à Jamie Foxx, il forme un partenaire étonnamment juste, parfois même émouvant, à ces deux acteurs exceptionnels.


Juste, mais incapable d'accomplir des miracles (parce que faut pas déconner non plus). Et il en aurait fallu un pour essuyer l'échec relatif des trente dernières minutes de Django Unchained, à partir desquelles l'acteur se retrouve soudainement seul face à la caméra, et se révèle incapable d'assurer seul le spectacle. Un spectacle de l'exagération bouffonne, là où ce qui avait précédé restait dans la nuance colorée ; un spectacle de la parodie de parodie, variante black du délire Kill Billesque face à laquelle on pourra s'amuser comme des petits fous, sans oublier pour autant qu'on aurait très bien pu s'en passer (état de fait fort bien illutré par le médiocre caméo du réalisateur, à mille lieux de son caméo de Pulp Fiction, par exemple).A croire que la rock-star d'Hollywood ne s'est pas totalement débarrassée de son problème d'excès !


Mais point d'inquiétude cependant : ce bémol ne gâche pas l'essentiel de ce grand show par moments émouvants, souvent hilarant, toujours exaltant. Un bon Tarant', en somme. C'est bel et bien possible. Le premier bon depuis dix-neuf ans.

ScaarAlexander
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le 31 mai 2013

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