La résignation plutôt que la révolte

Matteo Garrone a l’habitude des sales histoires : ses faits d’armes les plus retentissants sont Gomorra, où deux apprentis mafioso finissent mal (c’est le jeu) et Reality, où un plus si jeune homme passionné de télé-réalité finit mal. Ici, place à Dogman, où c'est un gentil père de famille qui finit donc mal.


Ce qui attire tout de suite l’attention, c’est l’image : elle est très composée, donne l'impression de tableaux d’Edward Hooper (le plan récurrent de Marcello devant son échoppe, par exemple), mais version classes populaires, voire plutôt classes misérables ; cette image est très léchée, presque artificiellement morne. Mais une belle image, ça ne veut rien dire, et j’ai personnellement tendance à être du côté de ceux qui se méfient des films où l’image se signale un peu trop.


Reste à savoir ce que le film a à dire, donc. Mais il n’y a pas de surprise, tant Matteo Garonne raconte toujours la même chose : il prend ici Marcello, un type le plus gentil, le plus doux, le plus charmant du monde, l’incarnation du bon, et il se délecte de sa déchéance. Marcello Fonte est dès lors, pour ce que le film veut de lui, excellent : il suscite immédiatement l’empathie du spectateur. Ce Marcello est humble, il est un père aimant, il se bat pour s’en sortir : on l’aime aussi inconditionnellement qu’il aime les chiens. Marcello a même le droit, le temps de quelques images, d’espérer au bonheur, pour que sa chute soit encore plus cruelle.


Alors, le film est très « réussi », il réussit son coup : il fait du mal à Marcello, et on en sort triste, déchiré… et même pas révolté.


Car Dogman n’est un film de la révolte, mais de la résignation. Marcello ne vit pas qu’une déchéance : si le film le met à l’épreuve, il le fait surtout sombrer dans le mal. Imagine-t-on Job, le pauvre gars qui supporte toutes les épreuves de Dieu, devenir méchant ? Marcello ressemble à Job, il partage sa bonté et son caractère juste, mais Marcello, lui, se perd en chemin et ne parvient pas à rester bon, et Dogman devient alors un banal film de vengeance.


Alors à quoi bon ? Pourquoi ce film ? Quelle vision du monde cherche-t-il à exprimer ? Est-ce l’esthétisation d’un constat métaphysico-social : seuls les salauds s’en sortent, et les autres, passez votre chemin, ne perdez pas votre temps à essayer d’être bon, c’est sans espoir dans notre méchante société ? Dès lors, je comprends mieux la joliesse de l’image qui permet de donner du relief à une idée creuse.


Sur un thème proche, un autre film italien, Heureux comme Lazzaro (qui sortira en novembre), défend l’idée exactement inverse : Lazaro, confronté au mal, reste bon. Le film serait presque un éloge du « laissez-vous marcher sur les pieds » et du « tendez l’autre joue », mais est beaucoup plus subversif et étonnant que Dogman, et donne de la matière cinématographique à penser et à sentir.

TomCluzeau
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le 10 juil. 2018

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Tom Cluzeau

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