L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social.
Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de se croire indépendant et plus fort que ce qu'implique ce postulat un poil humiliant. Les artistes et les scientifiques font cependant ce qu'ils peuvent pour nous le rappeler: les récits de solitude extrême sont presque à chaque fois conclus par une folie irrémédiable, et les expériences psychologiques sont unanimes, l'homme se construit sur des phénomènes de mimétisme, et ne se définit que par rapport aux autres.


Ne pas avoir cette idée quelque part dans un coin de la tête empêche à mon sens, de comprendre le fil conducteur des prises de décisions, parfois stupéfiantes, de Marcello. Ce petit être au physique étrange est un individu complexe (père aimant, toiletteur pour chiens compétent, mais aussi refourgueur de came à ses heures perdues) finalement mû par un seul moteur: les relations qu'il entretient avec son entourage, ses amis du quartier. Sous la coupe psychologique de la brute du coin, avec qui il essaie presque jusqu'au bout de rester ami (en tout cas sa version à lui de l'amitié), il ne commence à réagir à l'injustice qui le frappe que quand il imagine le regard des autres sur les conséquences de ses actes.
Son geste final


quand il tente pathétiquement de présenter le cadavre de son persécuteur à ses anciennes relations de football


ne s'explique que par cette soif d'amour et de reconnaissance, quelles qu'en soient les conséquences.


Tiré d'un fait divers impliquant un ancien boxeur (ici la fantastique brute incarnée par Edoardo Pesce) et quelqu'un qui s'occupait effectivement de toutous, la chose n'aurait pas fait plus sens si cela avait été le résultat d'une fiction: les amis à poil de Marcello rendent immédiatement et sans détour l'amour qui leur est donné, et répondent ainsi aux attentes d'un héros perdu dans un univers humain délabré qui ne lui propose rien de plus que de creuses discussions à l'heure de l'apéritif. Même avec sa fille, au fond, les vrais moments de complicités sont ceux où la parole ne peut se propager, lors de leurs sorties sous-marines.


Au delà des réflexions qui peuvent être tirées à postériori d'une telle séance, le film de Matteo Garrone se vit avant tout et viscéralement comme un moment aussi déroutant qu'impactant, dont une des qualités principales est de ne pas nous montrer vers quoi il s'achemine. Servi par une photo superbement raccord avec des décors naturels désarmant de décrépitude, Dogman constitue un mix presque parfait entre un conte baroque et un fait divers sordide.


Et pour le vieux limier habitué à dégoter des sucreries sans imaginations et des carcasses rongées par trop de charognards sans scrupules, la trouvaille fait office de superbe os à déguster, qu'il serait cruel d'enterrer au fond du jardin.

guyness

Écrit par

Critique lue 1.5K fois

52
10

D'autres avis sur Dogman

Dogman
guyness
8

Echec et meute

L'être humain est, avant toute autre chose, un animal social. Mais comme il aime plus que tout se raconter de réconfortants mensonges, il fait tout ce qui est son pouvoir pour l'oublier, et feint de...

le 22 nov. 2018

52 j'aime

10

Dogman
Okilebo
8

Quelle vie de chien !

On ne peut pas le nier, depuis quelques années et malgré de nombreux prix et nominations, le cinéma italien se fait discret. Pourtant, je pense que le talent est toujours bien présent mais celui-ci...

le 8 janv. 2019

37 j'aime

38

Dogman
pphf
7

Chemin de croix

Un prologue en trompe-l’œil. Avec en gros plan, puis en très gros plan, la tête énorme et blanche d’un molosse, la gueule ouverte, des crocs terrifiants – et la peur qui va glacer le spectateur,...

Par

le 1 août 2018

36 j'aime

17

Du même critique

Django Unchained
guyness
8

Quentin, talent finaud

Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...

le 17 janv. 2013

343 j'aime

51

Les 8 Salopards
guyness
9

Classe de neige

Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...

le 31 déc. 2015

314 j'aime

43

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

296 j'aime

141