Pour commencer, je ne me perdrais pas en conjectures sur les possibles raisons pour lesquelles Dossier 137 est reparti bredouille de Cannes. Ce genre de polémique ne nous apprend finalement pas grand chose sur le film en lui-même, alors qu'il y a tellement de choses à en dire. Arrêtons nous donc là.
Si Dossier 137 est un film majeur, c'est bien parce-qu'il parvient à s'imposer sur plusieurs niveaux distincts. Comme œuvre cinématographique, bien sûr, avec tout ce que celà implique de qualités artistiques, mais aussi et peut-être surtout, comme le témoignage d'une époque. Une réussite éclatante qui va bien au delà de l'actualité de son sujet et des passions, parfois fort biaisées, qu'elle suscite encore et toujours.
Sur la forme le film de Dominique Moll est classieux, mais surtout trés précis et trés travaillé. La photo et la réalisation sont magnifiques. Sur le fond son récit est minutieux et documenté, criant de vérité. Même si Dossier 137 a une certaine ressemblance thématique avec son précédent film, La nuit du 12, le cinéma de Moll a cependant évolué pour se rapprocher ici un peu de celui de Stéphane Brizé, par son côté austère et hyper réaliste tout en étant imprégné d'une dimension existentielle. De la même façon, tous les personnages, plus vrais que nature, du récit donnent l'impression que les comédiens jouent leur propre rôle, comme c'était le cas chez le réalisateur de La loi du marché. En vérité, il s'agit tous d'acteurs professionnels, ce qui souligne au passage leur grand talent.
Ce qui est remarquable aussi dans Dossier 137, c'est la manière avec laquelle le cinéaste parvient à nous passionner uniquement avec son récit sociologique et policier, sans avoir recours à aucun artifice supplémentaire. Contrairement à la plupart des films policiers (à fortiori ceux des années 80 et 90), il n'y a absolument aucun "spectacle" qui se greffe par dessus l'histoire. Le film est dépourvu de toutes ces scènes d'action, bons mots ou réparties cinglantes, qui tiennent bien plus du cinéma que de la réalité policière. D'avantage qu'un spectacle, Dossier 137 apparaît comme une véritable immersion dans une enquête. Un peu comme un documentaire sur le travail policier que l'on suivrait au travers d'une véritable affaire. Toute la passion et l’intérêt que l'on ressent devant le film de Moll viennent uniquement de la dite affaire et de ses implications sociales. En l’occurrence, il nous raconte l'histoire d'un gilet jaune blessé par un policier, mais, son talent de réalisateur et de conteur est tel qu'on a l'impression, que même s'il nous relatait le vol d'un scooter, ça serait tout aussi captivant pour le spectateur.
Tout en étant cinématographiquement haut de gamme, Dossier 137 va cependant plus loin encore. Ce qu'il nous montre finalement derrière son récit social et policier c'est une France atomisée et cloisonnée où chacun a choisi (ou subi) son camp et prêche pour sa propre paroisse. Une France ou règnent une animosité et une méfiance envers l'autre bord qui cantonne les gens à un entre-soi culturel ou l'on soutien les siens, sans véritable mise en perspective. Les idées et les points de vues que chacun va véhiculer découlent ensuite trés naturellement du positionnement qu'il a simplement adopté. Et ce qui est vraiment passionnant avec le commandant de police interprété par Léa Drucker, c'est que, de par son métier mais aussi ses origines, elle se situe exactement à la jonction de ces différents mondes pour en incarner quelque-part la synthèse, voir peut-être le compromis. La comédienne est évidemment formidable dans le rôle de ce personnage tiraillé entre différents affects et donc finalement trés humain. A l'image du film lui même, bien sûr, car au delà de ses dimensions existentielles et sociales, Dossier 137 est avant tout un film terriblement humain.
Pour retrouver mes autres critiques:
https://www.facebook.com/Les-films-dIsmael-100385648020164/?modal=admin_todo_tou