Sauver ce qui peut être sauvé

Dans des temps aussi troublés, les critiques n'ont aucune influence pour les films de Walt Disney. Seul le succès financier doit compter afin d'éviter d'autres endettements (ajoutés à ceux déjà énormes que la boîte aux grandes oreilles n'a pas remboursé). Pinocchio et Fantasia ont beau être des oeuvres majeures du studio et des défis techniques de haute volée, les budgets sont trop importants et les recettes trop faibles. La guerre fait de gros bobos au cinéma américain et Walt Disney se doit de viser moins haut pour son prochain Classique.

Au départ prévu pour être un moyen-métrage d'une trentaine de minutes, Dumbo devient finalement un long-métrage à part entière prêt à sortir au cinéma.
Et il est très marrant de voir qu'en donnant vie au film, les artistes des Walt Disney Animation Studios ne semblent jamais avoir oublié qu'il devait être au départ un court-métrage digne d'un Silly Symphonies.
Car Dumbo n'a rien à voir avec un Blanche-Neige ou un Pinocchio. C'est un pur cartoon des années 1940 rallongé.

Et en ça, le film se démarque de toutes les autres oeuvres précédentes du Maître de l'Animation.
Dumbo se fiche qu'il doive chercher de la logique dans son scénario ou ses péripéties. Tous les moments farfelus du film sont soit totalement gratuits soit cartoonesques à souhait. Outre la séquence de éléphants roses (la meilleure scène du film), Ben Sharpsteen met en image chaque scène loufoque comme s'il s'agissait d'un événement normal. Allant des cigognes apportant les bébés aux futures mamans jusqu'à l'éléphanteau devenant une star internationale en deux temps trois mouvements, le film enchaîne les créations les plus folles sans se poser de questions. Combien de films de nos jours osent-ils faire ça?

Comme pour Pinocchio, l'univers entourant Dumbo joue une grande place dans le long-métrage, il a même plus d'importance que l'éléphanteau!
Leur représentation est très intelligente. Les clowns, par exemple, ne sont jamais vu sous leur vrai jour. Ils n'existent dans la tête de Dumbo qu'avec leurs masques et leurs costumes. Quand ils redeviennent des simples employés, le film les montre comme des ombres à travers des toiles de tente et leur folie semble pourtant toujours présente.
La mise en scène du film est irréprochable comme pour chaque Classique Disney du Premier Âge d'Or.

Mais l'émotion n'est pas en reste. Partant d'une histoire très simple aux enjeux très simples, le spectateur est ému à chaque seconde en voyant le petit éléphant aux grandes oreilles tenter de survivre dans le monde de fous qui l'entoure. Il peut compter sur son amie, la souris Timothée qui, si elle a un rôle rappelant beaucoup celui de Jiminy Cricket (Roger Carel la double en VF qui plus est), n'en est pourtant pas un vulgaire copier-coller. Le personnage ne cherche pas de reconnaissance en aidant le pauvre rejeté du cirque, il veut juste l'aider à trouver une meilleure place. En cela, il est très attachant et sa relation avec Dumbo fonctionne très bien.

Si je devais chipoter, je dirai qu'il est dommage que le dessin animé ne soit pas un poil plus long. Pour quelqu'un comme moi qui a vu le film étant jeune des centaines de fois, j'ai été parfois surpris de la rapidité de certaines scènes. Je suppose que cela passera mieux au prochain visionnage.
Mais c'est du chipotage. J'ai ri, j'ai pleuré, j'ai été parfois même bluffé, tout ce que je veux ressentir devant un beau film Disney. Et inutile de préciser que la bande-originale confiée à Oliver Wallace et Franck Churchill fait toujours des merveilles. Les chansons sont entraînantes et la partie instrumentale tout autant mémorable.

Petit budget aidant, Dumbo sera le premier film Disney depuis Blanche-Neige et les Sept Nains à se révéler rentable pour le studio. Le succès est là et la critique acclame le film pour sa simplicité et son côté cartoonesque.
Création marquante et importante, Dumbo est un film d'animation créativement fou, très drôle, très émouvant avec une vraie patte! Mignon tout plein et imaginatif.