Un scénario limpide, une beauté formelle hypnotique : la magie opère

Qu'on ait lu ou pas le roman de science fiction, ô combien célèbre, de Frank Herbert, rien de particulièrement obscur ou nébuleux dans le Dune : 1ère partie de Villeneuve... pourvu qu'on lui soit attentif dès son tout début.
L'histoire, évidemment, vaut ce qu'elle vaut, mais il appartenait à Villeneuve et à ses scénaristes non pas d'en modifier le contenu, mais de le rendre (grosso modo) instantanément compréhensible au plus grand nombre. Mission réussie. On suit sans problème, durant les 2H35 du film, le déroulement de l'intrigue, l'enjeu du conflit entre les différents partis rivaux et on devine facilement le rôle que Paul, le jeune fils du duc Léto Atreides, va être amené à jouer dans la résolution de ce noeud d'antagonismes.
Comme titré au démarrage, le film s'interrompt en fin de première moitié de l'histoire, nous laissant en suspens, dans l'expectative, même si les visions anticipatrices de Paul (clairement le personnage principal de l'histoire) nous donnent un avant-goût de ce que sera la suite des évènements.
Donc premier satisfecit pour Villeneuve et son équipe : un scénario de film limpide pour n'importe quel habitué des salles obscures.

Ce qui frappe d'emblée, c'est pourtant autre chose : la beauté formelle de l'oeuvre, son extrême esthétisme. Certaines scènes sont, en même temps, sidérantes de conception, de composition et à tomber de beauté. Ainsi ce plan assez large qui montre descendant d'un vaisseau spatial, par temps de pluie, six ou sept mystérieuses personnes toutes voilées de noir, leur marche glissée rapide, silencieuse et inquiétante depuis la droite jusqu'à la gauche de l'écran (sombre, juste éclairé par la lumière oblique d'une étroite fenêtre), sans qu'on sache qui elles sont (en fait, des Soeurs du Bene Gesserit) et ce qu'elles viennent faire sur Caladan, la planète des Atreides. D'ailleurs, la séquence suivante entre le jeune Paul et l'effrayante, redoutable Révérende Mère Mohiam est un des sommets du film, par sa force, sa beauté et la lourdeur de son contenu, même si on ne décode pas complètement celui-ci (si Paul est le fils du duc Léto Atreides, il est surtout le fils de Jessica, concubine du duc mais Soeur du Bene Gesserit, instruite et formée par cet ordre, donc détentrice de secrets et de pouvoirs qu'elle a, de sa propre initiative, transmis à son fils).
Esthétiquement, l'architecture, les décors, les costumes, le design, sont superbes, très réussis. Les effets spéciaux se fondent dans l'ensemble ou s'ils se remarquent, c'est, la plupart du temps, en bien. On est venu voir le film avec l'espoir de s'évader de la grisaille de nos vies et véritablement on s'évade. Dans le futur. En l'an 10191. Pas seulement mais principalement sur la planète Arrakis, aussi appelée Dune, une planète aride recouverte d'une mer de sable, de laquelle émergent quelques grands massifs rocheux. Mais aussi le seul endroit de l'univers où l'on trouve, mêlée au sable, la précieuse, l'inestimable épice. Cette épice prolonge la vie des humains et améliore leur pouvoir mental, leur permettant de déterminer les meilleurs trajets intersidéraux, de voyager de galaxie en galaxie, d'une planète à l'autre. On est à la fois en pleine science-fiction... et dans un monde qui n'est pas si différent du nôtre. D'ailleurs, le film a parfois des allures de péplum du temps de l'Empire Romain, on s'y bat à l'ancienne : à l'épée, au poignard... Pas seulement, bien sûr.
Autre point positif, assez peu d'images classiquement vues dans d'autres films montrant des voyages interstellaires. Villeneuve évite au maximum les images sidérales déjà vues cent fois ailleurs, fait l'ellipse sur les millions ou milliards de km franchis. On nous donne à voir des vaisseaux spatiaux, d'ailleurs très impressionnants par leurs formes massives, mais on nous les montre surtout décoller ou atterrir et dégorger des centaines d'individus ou de soldats.
À ce propos, les scènes de batailles de masse ne sont pas, selon moi, ce qu'il y a de plus réussi dans le film (on a vu mieux). La magie du film réside plutôt dans la beauté de la reconstitution d'ensemble, dans le soin apporté aux multiples détails qui nous transportent dans ce futur de science fiction : bouclier magnétique (personnel ou général), combinaison "distille" de survie dans le désert, chercheur-tueur (grosse guêpe mécanique qu'attirent les mouvements de sa proie), pistolet maula... On ne se lasse pas d'admirer les évolutions des ornithoptères (ou orni), le fonctionnement de leurs ailes de libellule. La séquence autour de la "moissonneuse" d'épice (sorte d'engin massif nécessitant une vingtaine de personnes pour la conduire et manipuler) est aussi très belle, presque malickienne ; et l'épisode "tempête de sable et crash de l'orni" : super bien foutu. Puis, autre attraction et dangereuse singularité d'Arrakis, les vers géants des sables (400 mètres de long, une gueule gigantesque et un estomac d'autruche puissance 100). Ils sont considérés comme des dieux par les populations indigènes d'Arrakis : les Fremen, sorte de touaregs aux yeux bleus qui vivent au milieu des sables, dans des oasis ou des cavernes rocheuses. Totalement adaptés à la vie dans le désert, ces Fremen se sont opposés sans succès à la mise en exploitation de leur planète par les envahisseurs "extra-arrakiens" (les Harkonnen, maison rivale des Atreides, que ceux-ci, à la demande de l'empereur universel, ont pour mission de remplacer sur Arrakis) ; depuis lors, ils espèrent, pour venir à bout de leurs oppresseurs, la venue d'un messie (Lisan-al-Gaib), un libérateur... qui pourrait bien être le jeune Paul Atreides.

Impossible, tant sur le contenu que sur la mise en scène du film, de parler de tout. Un mot quand même sur le casting des personnages principaux animant cette épopée. Timothée Chalamet personnifie le jeune Paul Atreides, un rôle très lourd (et vital pour la production) dont il se tire magnifiquement. Rebecca Fergusson dans le rôle de Lady Jessica, sa mère, est très bien aussi, peut-être un peu trop sensible (car c'est le rôle d'une maîtresse-femme, d'une femme dure et qui se bat comme un homme). Charlotte Rampling est magnifique en Révérende Mère Mohiam, mais elle n'a qu'une seule grande scène. Oscar Isaac et Stellan Skarsgard ont le charisme et l'épaisseur nécessaires pour rendre crédibles leurs rôles antagonistes de chefs des grandes familles rivales Atreides et Harkonnen. Javier Bardem est convaincant en Stilgar, chef des Fremen ou plutôt d'un de leurs sietchs. Jason Momoa, superbe en Duncan Idaho, le maître d'armes de Paul Atreides. Josh Brolin, Zendaya ("Chani", la jeune Fremen qui hante les rêves de Paul) et... d'autres se font également remarquer. Bref, excellent casting.

Deux points encore. D'abord sur le rythme du film : c'est un rythme assez lent, qui laisse le temps de voir et d'apprécier le décor dans ses détails, le temps d'assimiler les informations délivrées souvent de façon très synthétique. Ensuite sur la partition musicale, très inspirée, de Hans Zimmer : elle donne le ton des scènes, elle les grandit, les dramatise... ou ménage leurs transitions, elle "habille" et réchauffe les décors souvent austères et majestueux, elle dit ce que le cerveau ne formule pas, elle colle à l'action et la souligne, tantôt grandiloquente et tantôt sensible ou haletante, inquiétante, presque grimaçante. Je ne l'ai pas, comme certains, trouvée outrée, mais plutôt adaptée à un onzième millénaire imaginaire qu'elle participe grandement à faire exister.

La preuve en est donnée une fois de plus : mise au service d'un réalisateur de talent, l'usine à rêves hollywoodienne fait des miracles. Dune : 1ère partie, c'est une histoire dépaysante (évidemment), riche, dense, limpidement scénarisée, magnifiquement mise en images, en rythme et en musique par un Villeneuve et son équipe au mieux de leur forme. Résultat : Plein les yeux, plein les oreilles... et une énorme, entêtante envie de voir la suite.

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le 20 sept. 2021

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Fleming

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