Villeneuve signe une production à l’ambition marquée mais qui, à l'image de son protagoniste, semble dépassée par son statut d'Élu. 

Peu d’arlésiennes ont eu l’aura d’une telle adaptation. Projet inachevé et à jamais fantasmé de Jodorowsky dans les années 1970, création malmenée et dépossédée des mains de David Lynch dix ans plus tard. Dune a cette réputation d'œuvre littéraire inadaptable de par son folklore foisonnant et son absence de représentation fédératrice. Dès lors et après un Blade Runner 2049 qui eu le mérite de prolonger avec générosité et envergure un mythe que l’on pensait intouchable, Denis Villeneuve nous propose son itération du roman cultissime. Portrait d’une fiction vers laquelle tous les espoirs étaient permis et où le voyage proposé n’égale finalement que rarement l’ambition du projet.
 Un ballet glacial
Paul, prince de la maison Atréides, ressent l'appel de la planète Arrakis alors que son clan est destiné à y régner et à y exploiter l'épice, ressource aux enjeux multiples. En s'intéressant au sort de ceux que sa maison exploite, le prince découvre un peuple au  destin étroitement lié au sien et qui va bouleverser la perception de ses repères.

Si l’on ne peut nier le cachet visuel du film en ce qu’il est techniquement une réussite, l'œuvre d'Herbert a tout de même ici des allures de Fashion Week astrale. Les costumes ainsi que les multiples décors visités sont à l'image du cinéma de son réalisateur: épurés, froids. ils transpirent l'élégance à défaut de la sueur, la vraie, celle qu’Arrakis et ses conditions difficiles promettent pourtant. Trait fâcheux d’une réalisation qui a toujours eu pour intérêt plastique la matière, sa texture et sa porosité. Si le contraste entre l'architecture d'Arrakis, les vaisseaux disproportionnés Harkonnen et les personnages souligne leur confrontation et la tension constante d’une odyssée à la grandeur démesurée, elle ne se matérialise jamais réellement pour en montrer la condition fragile et frêle de l'homme, même lors de l’attaque sans précédent de la cité d’Arrakeen. À l'exception des vers de sables, forces indomptables d'Arrakis ou des Fremen, symbole de l’adaptation de l’homme à un milieu qui lui est radicalement hostile, le cadre ne semble jamais sec et Arrakis n’est ici qu’un tapis rouge glacé, déroulé pour son casting 5 étoiles qui s’y promène en toute quiétude.

Côté distribution justement, Timothée Chalamet incarne avec allure Paul bien que la distance du personnage avec ses pairs ne lui donne que peu d’empathie, même lors de ses visions futures (censées le déstabiliser et l’assaillir à un intervalle régulier aussi indécent pour lui que pour le spectateur), peu de points d’ancrage sont notables pour nous émouvoir quant à sa trajectoire : celle d’un jeune homme en exil, en deuil et dont la destinée de cette nouvelle terre conquise repose sur ses épaules après la perte de tous ceux qui lui étaient chers. Choix bien plus imputable au ton du film qu’à la qualité de son jeu, on ne peut pas vraiment en vouloir à Chalamet qui offre avec le reste du casting une prestance royale et honorables aux Atréides. Toutefois, seule Rebecca Ferguson en Dame Jessica compense la chaleur qui manque à ce désert “aride” et à son fils parfois trop léthargique. 

La clarté à tout prix

Quant à l'épure si caractéristique que le film tresse scénaristiquement et formellement, elle semble liée à une raison principale, laquelle tient le film en laisse : sa narration. Rien ne doit parasiter le sacro-saint texte d'Herbert et dès lors le montage, bien que fort digeste pour sa durée, semble être en pilote automatique. Partie Une qui appelle du pied une suite, Dune prend son temps pour exposer et diluer une mythologie qu’il simplifie à outrance. Passé son premier quart d’heure verbal et scolaire, le film se lance avec pour objectif de suivre l'éclosion de Paul en Muad'dib mais il ne s'intéresse que peu à endiguer ses compositions, à leur donner la force qu'elles pourraient dégager. Il y a un désir primaire de rendre cet univers tangible mais par-dessus tout compréhensible.

Cet enjeu de la transmission écrase le rythme qui coupe et alterne les séquences avec un désir inébranlable d'avancer à tout prix, de filer droit, sans poids mort. La sacralité du matériau d'origine est palpable, pressante même car le film est conçu avec en tête cette idée de cathédrale à bâtir, à dresser pour rendre au mieux hommage à ce qu'on dépeint communément comme un monument de la science-fiction. On traverse donc Dune avec ce sentiment de visiter une bâtisse à la beauté incontestable, mais aussi trop mesurée, trop millimétrée pour que l'on s'y perde réellement et finissent transcendés.  Les pistes de Zimmer parviennent à mimer la spiritualité et la grandeur recherchée par chaque plan mais de même, elles ne font que donner corps à l’aspect non miscible de cette lecture à l’image, bien trop lisse et occupée à parader pour revendiquer une quelconque mysticité.

Villeneuve se retrouve ainsi à produire un film charnu mais bien plus timide que celui même de Lynch, tronqué à de multiples niveaux. De par son envie de trop bien faire, il se confronte à une diégèse qu'il n’ose pas dépoussiérer et où le gigantisme de son aventure ne nous meut qu’en de rares occasions. Récit à l’humanité rarement incarnée, sacralisée jusqu’à la pointe, on se retrouve détaché d'un univers au vernis technique irréprochable mais à l’empreinte passagère. À contrario du plan où Paul se cache dans des hologrammes afin d'échapper à une tentative d’assassinat à son encontre, soulignant la miscibilité entre son être et cette planète désertique, Dune ne parvient jamais réellement à l’osmose formelle et son cliffangher ne nous laisse esperer qu’une chose : Que si suite il y a, la timidité des premiers instants laisse place à une deuxième rencontre bien moins révérencieuse.

Rédigé le 14/10/2021 par Ulysse Combasson

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le 24 nov. 2021

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