Il faut une grande passion et du cran pour adapter Dune au cinéma. Je ne doute absolument pas que Denis Villeneuve ait eu ces qualités en abordant l’oeuvre de Frank Herbert. Le réalisateur a déjà montré un certain talent dans ses mises en scène, ses cadrages et surtout ses capacités à créer une ambiance, un espace qui marquent nos mémoires visuelles. Mais comme ce fut le cas dans la suite de Blade Runner, Villeneuve confond virtuosité visuelle et force narrative. Aussi esthétique et grandioses ses images puissent nous paraître, elles empêchent à de trop nombreuses occasions l’immersion dans le récit tant elles sont léchées sans pour autant donner une profondeur narrative. Le sol qui saigne dans "Les Derniers Jedis" est une allégorie qui pourrait sembler trop évidente et pourtant par son esthétique réussie et du fait que nous sommes avant tout porté par le devenir des héros, participe à porter le récit remarquablement. Dans le "Dune" de Villeneuve l'esthétisme arrive rarement à ce niveau narratif. Dans sa suite de Blade Runner, certains plans sont tellement travaillés qu’ils finissent par nuire ainsi à l'immersion dans l'histoire. Aussi exigent qu’il puisse l’être sur la direction artistique, Ridley Scott, dans Alien ou Blade Runner, filmait ses personnages dans des décors certes exceptionnels, mais suffisamment crédibles pour nous confiner dans ce voyage fantastique que la magie du cinéma permet. Dans son "Dune" Villeneuve est à nouveau dans la forme et rarement dans le fond. Oui c’est donc parfois très beau. Mais les personnages manquent cruellement d’épaisseur ou de profondeur. Et leurs histoires, nous l'observons mais nous n'arrivons certainement pas à nous immerger et nous identifier tant ils sont que trop peu travaillés. La technologie actuelle permet tout. Villeneuve profite de tous les effets à sa disposition. Mais cela, devant la multiplication des films à effets spéciaux, ne suffit pas à faire un grand film.


Dans ce "Dune" il y a de surcroit un grand déséquilibre dans la qualité des plans. Les vaisseaux libellules sont mieux « filmés » que les personnages principaux. Certains cadrages dans des séquences importantes sont totalement ratés. Cela en devient parfois indigeste, sans parler de la bande-son assourdissante comme pour concurrencer Tenet. Il n'y a d'ailleurs pas de thème musical fort dans ce film. La BO se noie dans le vacarme et les effets sonores sans jamais toucher au lyrisme pourtant attendu dans une oeuvre à l'univers aussi riche et grandiose.


Dans certaines séquences, Villeneuve casse totalement la magie tant ses choix sont incohérents. Je prendrais un exemple qui peut sembler insignifiant, mais qui pour moi est très révélateur des maladresses ou erreurs du réalisateur. Dans une séquence à bord d’un vaisseau, on entend les échanges radio entre passagers et centre de contrôle. On a l’impression d’être dans Top Gun ou n’importe quel film d’action du type « Air Force One » ou « Zero Dark Thirty ». Les échanges radio sonnent exactement comme dans ces films avec les mêmes effets de type radio typiques des avions de chasse. Oui c’est un détail. Mais cela nuit cruellement à l’immersion soi-disant dans une histoire qui se déroule en 10191.


Jamais on ne sent ce subtil vertige face à l'ampleur, le mystère et la profondeur de l'oeuvre originale. L'aspect métaphysique et spirituel sont sommairement esquissés. Certains personnages de second plan mais pourtant essentiels sont caricaturés au point de n'être au final que des pions pour faire avancer l'histoire et la rendre soit disant digeste à ceux qui n'aurait pas lu le livre. L'action spectaculaire y est privilégiée mais Villeneuve, là aussi montre certaines limites.N'est pas Kurosawa qui veut...
Le film finalement se contente trop souvent d'enchaîner de superbes illustrations sur papier glacé sur lesquels on aurait collé des décalcomanies.


Comment ne pas penser au Dune de David Lynch. Ce film n’a pas eu le succès et l’accueil qu’il méritait. Le casting était judicieux, voire "croustillant". Les interprètes étaient totalement investis dans leur rôle, les décors étaient somptueux et certains effets spéciaux vraiment bluffants pour l’époque. (sauf les scènes dans l'espace très bâclées) Lynch réussissait à donner vie à ses personnages grâce à une direction d’acteur et des choix esthétiques de costumes et de maquillage qui témoignaient à la foi d’un grand respect de l’oeuvre de Franck Herbert, mais aussi d’une créativité débordante.
Il avait ainsi créé un réel univers. Certains pensent toutefois que pour Lynch il s'agissait d'un film de commande loin d'être aussi inspiré que ses précédents films. Avec le recul ce demi-Lynch surpasse pourtant le "Dune" de Villeneuve. (la version officielle fut pourtant amputée d'une heure)
Le "Dune" de David Lynch pouvait à l'époque représenter pour certains une alternative au cinéma de SF trop "bon enfant" porté par la série des Star Wars. Une sorte d'anti "Star Wars" pour adultes. Il montrait un univers plus noir plus suintant avec des "méchants" plus malsains et très répugnant. Mais comme des toiles de Francis Bacon ou Edvard Munch ou bien les BD d'Enki Bilal, cette crasse ou cette laideur avaient une esthétique profonde et certaine. Elle nous plongeait dans le récit. Le film de Villeneuve n'atteint jamais ce niveau artistique. Il ne se positionne donc pas en une alternative au studio Disney ou Marvel. Lynch avait été en son temps beaucoup plus audacieux.


Ainsi au bout d'une heure et demie de visionnage j'ai lutté pour ne pas m'endormir. (le bruit ne me gène pas pour m'assoupir en général). Cela devenait long, trop long pour ce qui est de surcroît une première partie. Le marchand de sable passait et repassait entre les sièges rouges du Mk2 Bibliothèque....


Je termine en vous invitant donc à redécouvrir le "Dune" de David Lynch. Et aussi pour aller plus loin, le documentaire sur le "Dune" (jamais tourné) de Alejandro Jodorowsky (Poesía sin fin). Je suis curieux de savoir ce qu’il pense du film de Villeneuve…..Cela doit être bien douloureux pour celui qui avait monté le plus grand film de science-fiction de tous les temps comptant parmi ses "Warriors" : Moebius, Dan O Banon, Giger, Salvador Dali ou Orson Wells...

mijinko
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le 7 oct. 2021

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mijinko

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