C'est souvent à l'aune du souvenir immédiat et brûlant qu'il nous laisse, de la résonance qu'il applique à nos tissus cardiaques et cérébraux pendant de longues journées, qu'on peut évaluer la qualité d'un grand film. Sans doute revoir le premier opus de "Dune" la veille m'a ouvert les chakras et a conditionné mon corps à l'enthousiasme, mais de fait, j'ai trouvé cette deuxième partie meilleure que la première et ô combien chouette.


Si on retrouve bien vite ses repères, ce D2 jouit de n'avoir pas à replanter ses personnages, le monde et les enjeux dans lesquels ces premiers évoluent. Cette nouvelle marge de manœuvre, amplifiée par la réduction importante des flashforwards prophétiques qui visitaient régulièrement Paul Atreides dans D1, laisse une place plus importante à l'intrigue et à l'approfondissement des personnages. Les qualités formelles de D1, déjà reconnues, sont toujours au niveau, avec cet impressionnant travail sur les couleurs et les sons qui donne une présence singulière aux environnements. Le rythme est à la fois régulier et dosé avec un doigté rare dans ce genre de superproduction, qui ne transforme pas les respirations en retombées de soufflet, mais en séquences de basse tension qui maintiennent le pouls du patient-spectateur à un niveau élevé.


Sur le fond, j'ai toujours mes réserves. En plus de creuser le sillon archétypal du messie blanc parmi les bédouins basanés, de brandir à qui mieux mieux le concept de fanatisme et de poursuivre l'essentialisation des Frémens en s'émerveillant de leurs rites et de leur simplicité, D2 poursuit - toujours sans doute sous l'instigation de son support d'origine - un travail de sorciérisation des rôles féminins. A l'exception notable de Chani et Shishakli, tous les personnages féminins participent d'une secte tentaculaire qui ourdissent le renversement des hommes et de leurs royaumes. Mais ce parti pris sonne moins comme une revanche légitime sur le patriarcat et les querelles virilistes des mâles que comme une vision noire et dégradante de la femme en politique, qui ne travaillerait que dans l'ombre et le complot.


Cependant, ces éléments de fonds m'ont moins heurté que le lent et efficace travail de déconstruction de la fabrique messianique m'a séduit. Le film embrasse une critique radicale des dispositifs d'émergence et de consolidation de son héros et laisse entrevoir, s'il ne nous déçoit pas, une complexification, voire un renversement de sa trame pour le moment extrêmement manichéenne. Les choix du casting ont pris une nouvelle dimension qui m'a beaucoup plu : en prenant Timothée Chalamet dans le rôle d'Usul, Villeneuve a renoncé à appliquer le classique filtre viril à un personnage au pouvoir déjà incommensurable, ce qui lui donne une dimension plus humaine. Idem pour Austin Butler qui apporte une touche sensuelle et androgyne bienvenue à son personnage de sadique Feyd-Rautha, qu'un acteur plus "mâle" aurait sans doute rendu (encore plus) insupportable. Idem aussi pour Zendaya, qui ne cultive pas les attraits classiques de l'amoureuse hyper-féminine éconduite. Ces ruptures de représentation sont salutaires tant la trame scénaristique, certes galvanisante, reste convenue.


Je conclurais en disant simplement que je n'avais pas senti une telle énergie fascinatoire dans un film depuis... le Seigneur des Anneaux. Une comparaison qui vaut adoubement pour moi, même si j'essaye de rester lucide sur le contenu et les limites de ce blockbuster qui accouche, c'est rare, enfin de ses promesses.


8,5/10

Fwankifaël

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