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Pour info j'ai lu une grosse partie de la saga dans ma jeunesse (13-14 ans), une lecture dont je garde un souvenir assez émerveillé. Et bien, venant de voir ce deuxième opus qui m'a arraché bâillements et soupirs de consternation, je me dis que dès l'origine, dans le sein de ce prétendu chef-d’œuvre de Frank Herbert couvaient tous les germes bien pernicieux qui sous leur développement adulte expliquent cette bouse sans nom dont il semblerait qu'elle doive encore se prolonger d'un nouveau crime (un Dune 3, attendu pour 2026).

En fait, à s’aplatir de respect comme il le fait (j'ai le vague souvenir d'un entretien où Villeneuve confessait non seulement son admiration mais une forme de terreur religieuse devant l’œuvre), notre "génie" québecois (sic !) invente une nouvelle fonction du cinéma, une fonction inconsciente si l'on veut, purement négative, qui consiste à "ne pas". "Ne pas" est une fonction totalisante : on peut la compléter par tous les verbes que l'on voudra pour la décliner en injonctions sacrées destinées à empêcher toute forme d'expression, à l'exception d'une seule, l'expression du vide.

Il ne faut pas prendre la moindre liberté à l'égard du "monument", ne rien poser qui viendrait affirmer un tant soit peu quelque chose de personnel, ne serait-ce que dans le détail, le fait de s'intéresser à ceci plutôt qu'à cela (ce qui reviendrait à critiquer - horreur ! -, à sous-entendre que Môssieur Herbert n'a pas tout réussi génialement). Il ne faut pas s'imaginer que l'on pourrait avoir quelque chose à apporter qui ne serait pas de l'ordre de la pure transposition - noon ! Quelque chose qui viendrait se constituer en différence, pas nécessairement au sens qui ferait du cinéaste un rival de celui ou celle qu'il adapte, mais plus humblement celle du réalisateur qui construit au lieu d'empiler les séquences, qui crée une structure (plan, séquences, raccords, ellipse : mise en scène, jeux signifiants).

Ainsi la place du cinéaste est vide : personne, nul, nobody, no one. Il y a bien pourtant un nom sur l'affiche. Chat GPT ? Euh... Presque !

Car le boulot du mec (rajoutons : désormais, car il y a école) c'est de délivrer du vide sous l'espèce d'un plein (au sens de la bagnole, super ou sans plomb). Et là il y a quand même quelque chose c'est que ce vide parvient, peut-être à force d'aplatissement, à démontrer le côté un peu pourri du matériau de départ. Dont acte. Dune se révèle ainsi comme un feuilleton sf à rallonge mâtiné de pseudo-ethnologie avec messianisme, comment dire, peu subtil, religion du désert très très orientée orientale (fedaykin ? vraiment ?), vraie-fausse low-tech entre Temps X et Le Meilleur Forgeron et puis... ces invraisemblances venant couronner (comme un furoncle à la naissance d'un nez grec) cet hétéroclisme moins profond que malin et enjôleur. Je pense à ces armes atomiques "familiales" censées ouvrir une brèche dans la muraille d'Arrakeen (et les retombées radioactives, on s'en fout ?) ; ou ces réserves d'eau accumulées par les Fremen dans l'espoir de transformer une planète désertique en paradis verdoyant (alors que ce sont des conditions naturelles qui ont transformées Arrakis en désert : chaleur et absence d'humidité !).

Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ma péroraison ne vise pas Môssieur Herbert et son texte, d'un imaginaire suffisant pour balayer d'une pichenette mes critiques somme toute assez gentillettes. J'en veux plutôt au post-cinéma qui nous inflige l'épreuve de le réduire à une telle misère. Et à sa normalisation et encore à ceux qui s'en satisfont et en sont heureux (et ils sont nombreux). A eux je dédie cette bafouille au titre enfantin ainsi qu'une petite citation du grand Vladimir : "La négation de ce qu'on affirme est une absurdité : mais le reniement de ce qu'on adorait est au moins une possibilité, une scandaleuse possibilité, et même une solution de conciliation." (Le Pur et l'Impur) CQFD !

Addenda : dans un moment de flânerie ludique et méditative, je me suis amusé à demander à "Chaty" ce qu'il pouvait me dire d'un rapport de Villeneuve à la religion. Je reproduis ici sa réponse : "Denis Villeneuve n’est pas un réalisateur qui prône une vision religieuse du monde, mais il reconnaît le pouvoir narratif et philosophique des croyances". Dans un court texte intitulé Le Démon de la tautologie, Clément Rosset (philosophe de l'insignifiance) brodait sur cette figure stylistique qui convient "idéalement" (la formulation confine au paradoxe) à l'esprit de la philosophie réaliste : une philosophie qui s'intéresse au réel et uniquement (c'est-à-dire "méprisablement" pour le délester de toute enjolivure métaphysique). Extrait : "Soit (...) une formule hautement sacrée pour la plupart des paranoïaques (...) "Maman m'aime". Cette formule, qui n'est pas tautologique en soi, engendre un usage tautologique du langage dès lors que le paranoïaque a tendance à refuser toute formule si celle-ci (...) n'est pas pour autant une confirmation littérale, c'est-à-dire une redite tautologique, de ce que disait déjà la première formule." Ce qui suit se raccorde à notre sujet : "Les mots qui disaient la chose en sont venus à se confondre avec l'existence de la chose qu'ils disaient ; si bien qu'à toucher aux mots on attaquerait aussi la chose."

On appréciera une configuration et une sorte de pré-diagnostic en ce qui concerne le mal (appelons-le "mal de caca") qui nous permet de voir que la question du vide n'est pas uniquement la question de la vacuité. C'est aussi la question de l'évidement. Et ça touche de près, de très près au "pouvoir narratif et philosophique des croyances", au crime de tautologie (qui est aussi un chef d'œuvre de tautologie) contenu dans la formule, dont les deux syntagmes s'équivalent tout en étant articulés par la relation d'objet mais à la façon d'un nœud qui ne noue rien : un ruban, une bouffette, une fioriture qui fait illusion et dont la fonction est plus complexe qu'elle n'en a l'air car il faut à la fois produire l'illusion du langage (dire quelque chose à propos de quelque chose) alors qu'en même temps, il ne faut pas ! C'est interdit. Une interdiction qui se comprend très bien dans la perspective paranoïaque invoquée par Rosset sous l'angle de la confusion (on dira plutôt l'unité, la non-différence) entre mots et choses. Ça explique (en partie) une posture de retrait à l'égard du langage : faut pas trop parler ou plutôt, c'est toute l'astuce, faut pas trop en dire car ça pourrait être (mal) interprété ; Horreur (vision du sournois planqué derrière vous qui vous coupe le sifflet au moment où on sent que la parole va se libérer : l'agresseur number one) !

Mais parler ça c'est OK à condition de rien dire. Revenons maintenant à nos moutons religieux (le mouton étant un animal religieux et le moutonnisme ayant affaire à plus d'un titre avec la question religieuse). La réponse de Chaty a ceci de beau qu'elle restitue avec la fidélité du Border collie ou du Berger des Pyrénées le caractère intégralement et purement (si on peut dire) postural de la visée thématique. Dit autrement : ça intéresse parce que ça peut intéresser. Ça me fait penser à l'inconsistance dans la saisie de l'objet politique à droite : "Ça intéresse les Français". Oui mais encore, qu'en pensez vous ? "Je pense comme la plupart des Français que..." (penser et "sentir" devenant parfaitement synonymes, ce qui explique que la classe politique, pour aborder l'insécurité – ou plus récemment la "submersion migratoire" – doive en passer par la nuance du sentiment – un peu comme les romantiques finalement, mais la poésie en moins) Bref. Villeneuve aime le religieux, Chaty l'a bien compris, pour ses effets de manche : une façon d'en foutre plein la vue pour pas un rond (symbolique), une grandiloquence, un parler grand qui permet de ne rien dire (primum objectum) mais... sans le dire. On va pas dire qu'on dit rien, et puis quoi encore ?! Au contraire : messages, messagers, signes, en veux-tu en voilà, rêves, prophéties, oracles. Qui disent quoi ? Ben rien, c'est-à-dire la chose et son contraire : ça va chier grave (genre très grave) et le bonheur est pour demain. Avec ça on est avancé.

Addenda 2 : Intéressons-nous à cette modalité du discours du vide et donnons la chance à nos lecteurs (parmi les plus curieux et les plus aimables de ceux qui constituent la chère – et tendre – communauté de Sens Critique), de saisir le fond de notre pensée. Il y a une façon de ne rien dire en ayant l'air de dire quelque chose qu'on peut reconnaître pour être celle de l'imposteur. Mais parler d'imposture ça n'avance pas non plus à grand chose, il vaut mieux, dans le cas de Villeneuve (et plus largement avec "le mal de caca"), parler de perversion. Pour le commun, le pervers ou la perversion sont des termes réservés au crime et aux criminels mais quand on s'intéresse (comme moi) à la psychanalyse, on s'aperçoit que la perversion relève d'une structure ; au-delà d'une catégorie psychiatrique, quelque chose qui n'exclut en rien le "normal", au contraire même (à l'appui : la pseudo-citation si connue "l'enfant est un pervers polymorphe").

Pourquoi perversion ? La réponse se situe dans le rapport au langage, vacuité, évidement, et dans l'instrumentation de ce rapport chez celui qui prend à son compte la position perverse, y trouve sa prospérité. C'est une façon de combler le vide, de le transformer en plein et de dénier qu'il puisse y manquer quoi que ce soit ; quoi que ce soit d'un défaut, manque ou vide (on reconnaît la philosophie de Clément Rosset !). Le pervers s'est emparé du vide, du défaut qui le concerne en premier lieu pour en faire le défaut de l'autre (défaut, manque auxquels il prétend remédier en défiant ainsi l'autorité du père ; le père signifiant ici le sifflet – celui de la fin de la récré – et le "coupeur de sifflet", celui dont la fonction passe dans une certaine mesure par une censure [je fais référence ici à un ouvrage de Pierre Legendre, L'Amour du censeur]).

La perversion est ainsi la seule façon de comprendre l'admiration éperdue confessée par Villeneuve à l'endroit de Dune et le fait qu'il n'en fasse strictement rien dans l'ordre de l'écart, de l'affirmation propre, d'une différence qui lui revient (donc fatalement et heureusement pourrait-on dire dans l'ordre d'une trahison). Il y a là au fond un aveu : Dune l'intéresse à peu près autant que les rapports que le gouvernement commandite pour les ranger au fond d'une armoire ; par contre l'idée d'adapter un chef d'œuvre inadaptable, et le fait de réussir là où tous les autres ont échoué, ça, ça l'intéresse beaucoup.

Il n'y a là rien d'étonnant ni d'anormalement pervers même si la "fantasmatique sous-jacente" (l'histoire d'un messie appelé à devenir un dieu vivant et à déclencher un "djihad" qui mettra à feu et à sang une galaxie entière) a de quoi nous mettre la puce à l'oreille. J'ai demandé à Chaty de me résumer un petit peu la vision de Villeneuve au sujet des Fremen. Son topo en 3 points (les titres) : 1. Un peuple authentique et inspirant. 2. Une représentation respectueuse et inspirée du monde réel. 3 Une mise en valeur de leur force et de leur philosophie. Le pompon vient avec la conclusion : "Villeneuve admire leur résilience, leur sagesse écologique et leur capacité à survivre malgré l’oppression. Il voit en eux une métaphore puissante des peuples qui luttent pour préserver leurs traditions face aux impérialismes modernes. Il a d’ailleurs affirmé en interview qu’il considérait Dune comme un récit profondément anti-colonialiste et écologiste, et les Fremen en sont le cœur". Ça fait rêver. Et ça fait d'autant plus rêver qu'on parle des mêmes Fremen qui se font retourner la tronche par un jeune maître blanc dont la seule distinction par rapport aux autres maîtres blancs dont ils subissent la loi coloniale est qu'il n'appartient pas à la même Maison ! Évidemment tout cela est brouillé, emmêlé dans des motifs religieux et mythologiques mais ça n'empêche qu'il y a là un sacré tour de prestidigitation ; le même au fond que Villeneuve accomplit avec ses spectateurs auxquels il fourgue un boniment du même tonneau. "Récit anti-colonialiste", ben voyons !

Le pervers aime vérifier sur l'autre l'action de l'illusion qu'il ne reconnaît pas sur lui (ce que la psychanalyse nomme "déni"). Pour voir un récit anti-colonialiste dans Dune il faut être capable d'organiser un certain type de déni dans le traitement du récit, son conditionnement pour que le public puisse le recevoir dans les attendus et prescriptions du marketing. Le budget marketing (s'il y a encore du sens à distinguer un marketing détaché de la production ; non seulement les stars mais tous les stades de la fabrication du film étant désormais soumis au calcul de rentabilité – grâce aux algorithmes et à leur puissance prédictive) est équivalent voire supérieur pour des films comme Dune au budget de production. Le film que l'on reçoit, que l'on voit, que l'on consomme (et que l'on apprécie) est plus le résultat de techniques de vente, d'un travail d'influence, de publicité, de médiatisation, d'une mise en images prémâchée que le résultat d'un travail artistique (ce qu'on appelle une œuvre), un objet réel à juger sur pièces. Je ne parle même pas de la conquête artistique sur ces aspects mêmes (ce qui était la spécialité des "auteurs" d'Hollywood).

La pratique désormais prescrite, attendue de la part du spectateur ça n'est pas de regarder le film mais de l'apprécier, d'en vérifier la pertinence ou la conformité au regard de critères qui le saisissent d'emblée comme un objet mesurable (chiffrable). Ce que l'on demande au spectateur, ce qui constitue la première donnée (la seule en réalité) qui entre dans l'appréciation, et qui devient du même coup le premier instrument de marketing, c'est une évaluation (sur une échelle de 1 à 10 : ça vous cause ?) Cette "mise en mesure" du goût passe par un nouveau concept absolument capital pour comprendre comment le déni et la perversion sont marketés, promus avec les objets fourgués aux consommateurs comme une came. Ce concept c'est celui de profilage. Philippe Huneman, philosophe des sciences, directeur de recherche au CNRS, y a consacré un ouvrage en 2023. "... nous entrons, dit-il, dans les sociétés du profilage. Si, certes, contrôle comme profilage individualisent, le contrôle joue sur l'ici et maintenant tandis que le profilage prédit. Le contrôle, héritier de la discipline, suit et monitore les comportements, alors que le profilage, lui, portera sur les croyances et les préférences au sens des économistes." Ce diagnostic nous le reprenons, à la nuance près que pour nous ces deux concepts, contrôle et profilage, ne s'opposent pas : ils se complètent (ils sont en réalité indissociables comme la réalité nous le montre pleinement aujourd'hui). Le profilage, comme Huneman l'a bien vu, est lié à la croyance : en tant qu'il "fait naître de nouveaux sujets et de nouveaux groupes [je souligne]". "Par le profil un grand nombre d'opérations distinctes sont en effet possibles, qui affectent vos choix, vos comportements, vos relations aux autres, vos croyances, et, au-delà, les dynamiques sociales par lesquelles certaines idées sont adoptées en groupe, certaines démarches sont collectivement imaginées et menées à bien [je souligne encore]." Le profil ne doit pas être vu comme une entrée technique, un concept de communication lié à la culture, à la littératie numérique et informationnelle. C'est en fait une redéfinition du sujet : le sujet humain, sensible, le sujet de raison et de désir.

Ce qui nourrit, ce qui fait la croyance, ce que le mot tel qu'on peut l'employer signifie, qui n'est pas tant l'objet qu'étudient les spécialistes des religions (mais qui ne s'en départit pas absolument non plus) que la réalité plus vaste des modes d'élection, de sélection et d'exclusion des objets communs, la détermination de leur valeur, ce qui fait cela ce sont des identifications, des identifications qui travaillent les unes avec les autres et les unes contre les autres en s'enchaînant (et en se déchaînant) le long de circuits techno-logiques ; des circuits qui fonctionnent comme tous les circuits, en boucle et selon une dynamique de phases (tout ceci a été pensé par Bernard Stiegler dans son œuvre). C'est pourquoi il convient de la saisir à l'inverse de la conception commune qui en fait l'expression d'une adhésion, c'est-à-dire d'un rapport qui implique le sujet, auquel il consent ou ne consent pas (on pourrait d'ailleurs interroger ce mot si actuel de "consentement" à partir de ces questions de profilage et de contrôle du sujet), à l'inverse c'est-à-dire en pensant la croyance comme modalité et condition, comme ce qui participe du processus dont naît le sujet (et non comme ce qui en sort).

En découpant le milieu du sujet en "microniches correspondant aux différents profils collectifs, eux-mêmes définis en lien avec une intention de diffuser un item, qu'il soit marchandise ou opinion", le profilage crée un autre rapport au milieu ; un rapport profondément déstructurant car il en brise l'unité et la continuité. Ce qui engendre de la dissociation, c'est-à-dire une désindividuation plutôt qu'une individuation (ce qui signifie une plus grande dépendance des sujets). Pour comprendre cela, je renvoie au vocabulaire d'Ars Industrialis à l'entrée Milieu (associé/dissocié) : "... dans un milieu associé, l’individu psychique s’individue en co-individuation avec un ou plusieurs autres individus psychiques, ce qui constitue une individuation collective, pour autant qu’ensemble ils contribuent à individuer leur milieu (technico-symbolique). Dans un milieu dissocié, l’individuation du milieu technico-symbolique se fera au contraire aux dépens [je souligne] des individus psychiques (et par l’intermédiaire de bureaux d’étude, de cabinets de conseil et autres « experts »), qui s’en trouveront donc désindividués."

Le milieu culturel apparaît dissocié dès lors que ce qui fait la culture (non la mienne ou celle d'un groupe en particulier mais la culture au sens général par rapport à laquelle je peux me particulariser et qui me sert par là même de boussole, de jalon) ça n'est plus le groupe dans sa définition la plus large, la plus étendue mais au contraire un balisage qui court-circuite et rend inutile mes efforts pour trouver la différence, le particulier, le singulier au sein du général. Sans la trajectoire qui va du général au particulier (et cette trajectoire, c'est la mienne, mon travail, ma responsabilité) l'identité ne peut être fondée que sur une croyance, ce court-circuit même qui m'économise du temps, me dit ce que j'aime, qui je suis, sur la base d'une inférence (un syllogisme), sans que ça me coûte mes forces et mon temps, sans que je m'y prenne la tête. Il faut insister ici sur la dépendance qui est en fait le retour (de bâton) de l'économie, du gain obtenu (mais obtenu par quoi ? Et grâce à qui ?) La logique prescriptive du profilage introduit cette dépendance sous le rapport "objectif" de l'algorithme (vous allez aimer ça parce que...). Le public de la science-fiction (le public de Dune) est ainsi au sens fort un public de fidèles ayant acquis des réflexes : ayant appris à se constituer eux-mêmes en relais de la prescription et surtout en gardiens de la fidélité (c'est-à-dire en censeurs de la différence).

Ce qui a toujours existé mais aujourd'hui, à la différence d'hier, le censeur général (qui pouvait rabattre un peu leur caquet aux censeurs particuliers), a disparu et le champ est laissé libre à ceux qui profitent de son absence (où l'on retrouve la structure de perversion) ; non pas tant les censeurs particuliers, les gardiens de la fidélité, les tenants de la morale (ceux-là sont toujours les dindons de la farce) mais ceux qui se trouvent derrière ou au-dessus (et même parfois dedans), ceux qui agissent, dont la morale consiste à réaliser du profit et à le faire dans la conviction établie que ce qu'ils vous apportent est bien plus important que l'argent qu'ils se mettent dans la poche (aux premiers rangs d'entre eux figurent Elon et ses disciples dont le but avoué est de faire de vous les junkies décérébrés qui réaliseront les prédictions de Laurent Alexandre : dans un an, 6 mois ou quelques semaines, vous serez des millions ou des milliards de fois moins intelligents que Chat GPT !)

La dépendance est assurée par la coupure que constitue le profilage qui se présente comme une prise d'autonomie à l'égard d'un milieu dont on voit bien qu'il impose une verticalité, une domination. Grâce au profilage, la culture peut s'épanouir dans la sécession, la rupture avec ce principe de domination, comme l'expression, l'émanation d'une communauté qui définit d'elle-même ce qu'elle aime et la culture qu'elle souhaite sans avoir à supporter le regard du censeur, le poids de la distinction et du jugement de (mauvais) goût peser sur elle. Le problème c'est qu'elle oublie que la verticalité est aussi ce qui permet à cette culture vers laquelle elle tend, à laquelle elle s'identifie (comme la jeunesse s'identifie à ses désirs d'émancipation) de trouver une vitalité, d'être animée par une tension (ce que Stiegler appelle un mi-lieu), un désir qui suppose de n'être pas intégralement satisfait (de continuer à être cultivé : ce qui s'appelle justement une culture) afin de ne pas retomber en ouvrant la voie à un désir de fixité, d'immutabilité, de répétition du même (qui a pour nom pulsion de mort). L'autre problème c'est qu'à cet oubli vient s'ajouter un deuxième oubli, celui de la structure qui est autant celle de l'individu que celle du collectif ; il ne s'agit plus là de la question du milieu, c'est-à-dire de la participation (vitale) de l'individu à son environnement (qui passe par une façon de produire le milieu par la (les) technique(s) – qui ne relèvent pas ainsi de l'outillage mais de la culture), mais d'autre chose : du temps. Or la technique est le temps, du moins son corrélat ("La technique peut alors apparaître comme l’opposé de l’« esprit », de la « civilisation », de l’« humain », alors même qu’elle est le destin de l’homme : noués l’un à l’autre par une relation que Simondon nomme transductive (une relation qui constitue ses termes, où un terme ne peut exister sans l’autre, où les termes sont co-constituants), homme et technique sont indissociables. Mais cette relation est un « équilibre métastable » que traverse une irréductible tension. Cette tension est le temps." La technique et le temps. 2. La désorientation). Du moins le rapport qui implique et explique (qui déroule) le temps ; qui l'explique en tout cas au regard de l'oubli (fondateur et redoublé chez Stiegler). L'oubli du temps est ce redoublement qui consiste en un oubli du premier oubli (l'oubli de la question vitale). Au lieu de soigner la pulsion de mort, on l'aggrave ; et on l'aggrave en perdant de vue qu'il existe une structure (qui se rapporte au temps et le définit), dont il n'est pas possible de faire l'économie. C'est ce qu'ont oublié les dindons de la farce que sont les consommateurs de la culture affranchie (c'est-à-dire nous tous) : dans la mesure où cet aspect du général qui la qualifiait, ça n'était rien d'autre au fond que l'expression du temps qu'il faut pour fabriquer de la culture qui consiste et résiste (plutôt que de l'exploitation qui est la culture au sens de la production : la production du cerveau disponible et malléable). La culture générale (et dans sa capacité même à produire des cultures différentes, des cultures du désir de différence et d'émancipation) c'est en fait ce qui suppose des temporalités de composition et oublier cela (qui est oublier comment, par exemple, les grands cinéastes à Hollywood travaillaient, en composant en permanence, et quasiment en contrebande, sur la base d'un malentendu tacite, durable et fécond), c'est se condamner non seulement à l'inconsistance (l'impossibilité de parvenir à quelque forme d'exigence) mais en outre se priver de ce que l'intuition, la perception même de cette inconsistance pourrait provoquer de désir de consistance, désir de chercher, de trouver les moyens de parvenir à ce qui manque et fait défaut.

La consistance en défaut, elle ne peut plus même faire défaut (faire l'office du défaut) : c'est la situation dans laquelle nous nous trouvons, qui correspond à la société du profilage ; le profilage qui organise le déni pour transformer ce qui n'a pas la moindre consistance en "grand et beau cinéma malgré tout" (je reprends le titre de "la critique positive la plus appréciée" de Dune 2e partie) ou en "blockbuster d'excellente facture" (expression de Sergent_Pepper utilisée au cours de notre discussion en commentaires de sa critique). Une objection cependant : le profilage, ça n'a rien à voir avec le cinéma, ça vient des plateformes et les plateformes ça n'est pas le cinéma. Un telle différenciation (qui reprend les arguments du débat sur le fait d'exclure ou non les plateformes des festivals) ignore complètement les enjeux du problème et le niveau auquel il convient de l'aborder. Les salles ne peuvent à elles seules constituer un milieu (le milieu du cinéma) en mesure de résister et consister face à l'influence, non pas d'un modèle (ce qui serait une façon étroitement économique d'envisager les choses) mais d'une techno-logie. Une techno-logie (le trait d'union désinstrumentalise un terme devenu trop familier pour qu'on en perçoive l'importance conceptuelle) c'est d'abord une tendance, une tendance technique qui ne se laisse pas réduire (au sens de l'observation scientifique) : ce qui nécessite qu'on la pense intégralement, le plus extensivement, comme rapport de l'homme au milieu, rapport de modification de ce milieu non pas localisé ou isolé mais continu et progressif et qui rétroactivement vient modifier l'auteur de la modification de telle sorte que cette tendance trouve son autonomie : elle échappe en tant que telle et dans une certaine mesure non seulement à la volonté mais à la connaissance et à la conscience du groupe. La tendance finit par se fondre et se confondre avec le milieu et par produire une forme d'illusion (illusion de stabilité que Stiegler à la suite de Simondon nomme métastabilité) : une illusion que l'on pourrait comparer à celle des Terriens qui éprouvent l'immobilité et l'immutabilité de leur milieu, la Terre.

Alors que cette immobilité et cette immutabilité n'existent pas. La tendance comme techno-logie est au sens le plus étendu, le plus profond le démenti que l'on est en droit d'opposer à ceux qui expliquent que rien ne change (alors que tout change mais comme ceux-là – c'est-à-dire chacun de nous – ne sont pas armés pour le comprendre, ils pensent pouvoir affirmer le contraire). La techno-logie c'est un logos technique, c'est une façon de former la langue et à travers elle la pensée. Le profilage a pénétré ce que nous croyons être le bastion le plus protégé, la citadelle imprenable du cinéma : les salles. Et il diffuse depuis ce bastion, dans le secret d'une méconnaissance, d'une ignorance de sa dimension techno-logique ; la question n'est pas, précisément, ce qui se donne sous le terme de "profil" pour désigner la trace d'une activité exploitée par la machine et produire une simili-connaissance en vue d'anticiper les demandes de l'utilisateur. La question c'est l'effet de rétroaction produit en proportion du caractère absolument massif du profilage (qui consiste en une pratique générale, généralisée par l'usage lui-même massif – et plus que massif – de ce qu'on appelait autrefois les Technologies de l'Information et de la Communication). Une rétroaction qui affecte de multiples façons le logos et l'éthos des gens de cinéma, qui affecte la conception, la fabrication du cinéma (et dans la façon même de penser – ou plutôt de ne pas penser mais de vouloir, d'affirmer comme chose réelle plutôt que simple vœu – la différence entre salles et plateformes) ; je renvoie à un article de 2021 intitulé "L’industrie cinématographique au temps de la crise sanitaire : entre fragilisation des salles de cinéma et dynamique de plateformisation" (en accès libre sur le portail Cairn) qui résume parfaitement ce que le profilage fait au logos du cinéma (en gros une mise sous pression qui équivaut à une "imposition de nouvelles règles" laissant le choix de s'adapter ou mourir).

Les gens de cinéma travaillent désormais, qu'ils le veuillent ou non, dans la direction imposée par des financeurs qui ont pris acte des changements techno-logiques et qui conçoivent les films à partir de ces changements. Parmi eux, il en est un qui concerne directement mon propos (et non cher lecteur, mon ami, mon frère, il n'est pas perdu dans l'écheveau de mes divagations ; je me souviens et toi aussi que nous parlons de Dune, de son adaptation par le "génie québécois" Denis Villeneuve !) et qui touche un certain rapport à l'œuvre, rapport qu'une expression ("cinéma du milieu"), utilisée par certains dans les années 2000 pourrait nous aider à penser. L'expression raccorde en outre avec la conceptualité stieglerienne et permet d'en illustrer la justesse. De quoi s'agit-il ? Et bien du milieu de la production et de la façon dont l'impactent les choix stratégiques de l'investissement qui s'appliquent sans égard pour le mi-lieu, la position intermédiaire entre pôle nord (top of the world, bingo, jackpot) et pôle sud (le bas de l'échelle de la rentabilité). "Le cinéma du milieu ou le peuple introuvable" (toujours sur Cairn en accès libre) livre une critique non négligeable de ce concept et des préconisations auxquelles il a pu donner lieu (dans le cadre du "rapport Ferran" : "Le milieu n'est plus un pont mais une faille" qu'on peut trouver en ligne). Mais l'article s'achève sur l'inévitable note idéologique qui rend a posteriori la critique parfaitement vaine et parfaitement déplacée (il y aurait un livre à écrire sur ce thème, visant la quasi intégralité des doctorants en sciences sociales). Auparavant nous avons un diagnostic assez juste qui explique que l'"espace de coexistence entre différents cinéastes se heurte à la réalité d’un public divisé entre, d’un côté, une minorité (les amateurs de films d’auteur à tirage confidentiel) et, de l’autre, une majorité rassemblée par des productions « grand public ». Or, selon les termes du « rapport Ferran », ce hiatus est la conséquence de « l’effacement progressif de la conception du cinéma comme art populaire ». Car, « dès lors qu’une catégorie de films n’arrive plus à accéder au plus grand nombre et que l’autre se détourne de la conception du cinéma comme art, la notion même d’art populaire vole en éclats."

En ce qui me concerne, et n'ayant pas lu le rapport Ferran, j'apporterai aux lignes qui précèdent (et à l'encontre de l'intention critique de l'auteur) la précision suivante : oui, la division entre minorité et majorité (du public) peut être vue comme une conséquence, une conséquence de la disparition de ce qu'on appelait "cinéma populaire" mais elle peut être vue également comme une cause ! Peu importe en fait, la vérité se trouve dans ce qui suit : "dès lors qu’une catégorie de films n’arrive plus à accéder au plus grand nombre et que l’autre se détourne de la conception du cinéma comme art, la notion même d’art populaire vole en éclats." Mais ceci reste encore à expliciter, à expliciter dans les termes du mi-lieu (j'ai renvoyé précédemment au vocabulaire d'Ars Industrialis qui résume tout ce qu'il y a à savoir). Disons que le cinéma populaire est désormais introuvable en tant que cinéma de l'élite : en tant que contradiction, contradiction résultant d'une tension structurelle (équilibre métastable) œuvrant sur le temps long et liée à une composition sociale qui n'a rien mais strictement rien à voir ni avec un solutionnisme spéculatif savant ni avec une espèce de super pouvoir qui viendrait manifester et imposer miraculeusement aux yeux de tous "ce que le peuple sait de l'art" (il suffirait de lui donner sa chance et les moyens de s'exprimer).

Ce qui modifie la donne, ce qui intervient à mon sens comme façon de dissocier minorité et majorité (ces termes ayant des usages sémantiques qu'il me plaît ici d'emmêler), comme façon de les bloquer, de les laisser ainsi, dirais-je, se démerder l'une sans l'autre, c'est une refonte des genres sous l'impulsion du profilage conçu comme nouvelle modalité de catégorisation et de segmentarisation du marché. La "série culturelle" pourrait être la notion ayant servi de voiture-bélier au profilage pour venir défoncer la façade d'un concept (celui de genre, artistique va sans dire) élaboré et nourri dans la durée du temps long. La "série culturelle" est une expression que l'on doit à André Gaudreault (qui forme un tandem avec Philippe Marion – responsable notamment de La fin du cinéma ? actualisé en 2023 – ; un peu les Bataille et Fontaine de la recherche sur l'intermédialité, je dis ça par pure méchanceté). De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'appliquer le vieux concept de sérialité aux changements technologiques (qui ne sont plus vus en termes de rupture mais de continuité) et d'en profiter pour vanter l'hybridation à tout crin du "bouillonnement intermédial qui battait son plein avant l'institutionnalisation". Bref une manière de se prémunir contre tout risque de perte de budget en des temps où la recherche, ça coûte cher, très cher. Mais intéressons-nous en ce qu'en dit un autre chercheur, Matthieu Letourneux, auteur de Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique : "Les productions sérielles s’associent à un contexte plus large qu’elles supposent pour produire leurs effets. Il ne s’agit pas seulement, pour l’œuvre, de renvoyer à une série d’intertextes, mais de convoquer un réseau contextuel profondément lié à l’époque qui le porte (...) l’imaginaire sériel est non seulement tributaire du contexte culturel et médiatique qui le produit, puisqu’il s’y réfère et qu’il en a besoin pour prendre tout son sens, mais il dépend aussi des contextes de réception de l’œuvre, puisqu’il faut que les lecteurs partagent au moins une partie des références convoquées pour que celles-ci s’articulent en un système. Dès lors, la spécificité des mécanismes sériels tiendrait au fait que ces intertextes et ces architextes auxquels ils renvoient finissent par être si importants et par impliquer une si grande variété de productions médiatiques qu’ils semblent en définitive désigner une culture ou en tout cas un système culturel – au sens où Edgar Morin parlait de la culture de masse comme d’une culture parmi d’autres de la société contemporaine polyculturelle." Ce dernier point est important et on y reviendra. Un autre point important, "la fonction centrale du lecteur dans les mécanismes sériels. Non seulement il faut que celui-ci partage au moins une partie des vastes répertoires culturels qui sont convoqués, mais il faut qu’il accepte de se laisser séduire et d’adopter une posture dans laquelle la lecture sera informée (et le texte mis en forme) par l’ensemble des imaginaires et des intrigues qu’on l’invite à associer à l’œuvre. Tous les effets de sérialité s’articulent en définitive dans l’acte de lecture, qui en est la finalité. La communication sérielle suppose que le lecteur soit capable d’en jouer le jeu et surtout qu’il accepte de le faire. Ne pas accepter le jeu sériel, c’est inverser la fonction du stéréotype. [je souligne] Celui-ci cesse de produire de la vraisemblance pour se révéler artificiel, et mettre en crise la suspension volontaire de l’incrédulité." Autrement dit le pacte sériel, variante du pacte de lecture, implique un rapport particulier au stéréotype (qui ne manque pas d'évoquer le vieux concept de fétiche !) : il joue un rôle moteur dans la production sérielle qui en retour, et en raison de sa dynamique, l'empêche de le voir tel qu'il est (dans sa facticité ; on dirait en ce qui concerne le fétiche : comme le bout de bois qu'il est).

Le fétichisme sériel repose comme tout fétichisme sur une modalité du regard détourné (support de la croyance). Détourné par quoi ? Par ce que j'appellerais la lettre (en référence à un texte de Poe commenté par Lacan), c'est-à-dire par "l'objet de perspective : à savoir, l'objet en négatif qui sert d'organisateur pour toute construction d'objets, sur lequel s'appuient les chaînes de langages le concernant sans arriver à le réduire à une définition complète, et qui se profile comme objet de manque. Objet de perspective qui tire le regard, sans les mots, et le porte au-delà, ou à travers les apparences visuelles de l'objet, et qui est une pièce nécessaire comme le point de fuite dans la perspective picturale, ou comme les ensembles vides." (Guy Rosolato, Le fétichisme dont se "dérobe" l'objet in Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1970 n° 2, Objets du fétichisme). Le point de fuite ici se nomme "série". La série nous l'avons vu convoque un lecteur, non le lector in fabula dont le rôle est celui de témoin, interprète, enquêteur, mais le lecteur comme amateur (définition de Wikipedia : "personne qui se livre à une activité en dehors de son cadre professionnel, généralement sans rémunération, et dont la motivation ressort essentiellement de la passion" – le mot "passion" annonçant d'emblée la couleur d'ambivalence (patior et passivus) si importante dans notre sujet). L'amateur est garant de la lettre et s'oppose d'une certaine façon à l'esprit. C'est une dimension du pacte que l'on saisira très bien dans l'exemple de la novélisation. "L’auteur, jouant le jeu des stéréotypes, cherche moins à décrire le monde qu’à le désigner à travers des expressions codantes du genre auquel il est lié, tout en y ajoutant quelques événements clés de l’univers de fiction (noms des personnages, phrases prononcées dans le film, toponymes…). Mais les expressions codantes que va rechercher l’auteur correspondent à des conventions littéraires [je souligne]. Ainsi la novélisation littérarise-t-elle le film, en multipliant les équivalents littéraires aux stéréotypes filmiques. Le lexique et le style de la fantasy ou de l’épouvante, les clichés pittoresques de l’aventure ou les effets de xénoencyclopédie de la science-fiction déterminent, suivant des modalités littéraires, un univers de fiction générique susceptible de s’accorder [je souligne encore] avec celui du film (...) C’est la cohésion transmédiatique des thématiques, des structures narratives et des imaginaires génériques qui permet de tels phénomènes d’adaptation d’un média à l’autre, d’un système de représentation à l’autre. Ces « habitudes du roman conventionnel » que Bruce Morrissette avait déjà repérées en 1968 dans les novélisations sont bien le signe d’une médiocrité stylistique, mais elles apparaissent aussi comme la source du plaisir que procurent les romans. Si les novélisations sont stéréotypées, c’est certes parce qu’elles sont écrites à la va-vite par des mercenaires, mais aussi, plus fondamentalement, parce que leur style plat (fait d’imparfaits et de passés simples attendus, de syntagmes figés et de topoï littéraires) incarne précisément la littérarité dans ce qu’elle a de plus stéréotypé. C’est cette littérarité que recherche l’amateur, heureux de découvrir dans une œuvre clichant son caractère romanesque un alter ego « littéraire » du film." (Letourneux, op. cit.) Ailleurs Letourneux précise : "La pauvreté du lexique et la rareté des descriptions [permettent] ainsi paradoxalement au lecteur d’enrichir le récit, de constituer un monde déterminé là où il n’y avait que des traits caractérisants vides de signifiés". Désinvestir le lexique ou la syntaxe (ce que fait très bien notre génial ami québécois) ça n'est pas une faiblesse ou une lacune ; c'est une intention, un programme. Un programme qui répond à des attentes, des attendus consécutifs à la perte du mi-lieu et à l'assomption du profilage culturel qui a transformé le public adulte du cinéma en public d'amateurs ; public infantilisé et exploité (selon une certaine logique fétichiste) pour servir de pompe à fric à toute une collection de profiteurs, dont la plupart sont eux-mêmes exploités mais dont certains forment la catégorie des pervers qu'on pourra mettre dans le collimateur de notre critique.

La position de l'amateur s'accorde très bien à celle du consommateur invité à évaluer, apprécier, liker tout ce qui peut l'être et de façon à entretenir ainsi la communauté de ceux qui partagent ses goûts, de ceux qui pourront fournir un profil exploitable et constitué aussi bien en ressource qu'en croyance (en créance). L'amateur prime le lettré (litteratus : celui qui passe par les lettres) et nourrit une économie, une économie de la sérialité qui est une économie de la circularité. Le cinéma figure dans ce contexte de reconfiguration massive et disruptive comme une petite Atlantide qui, n'ayant pas perçu la soudaine submersion, continue à faire comme si de rien n'était alors que le flux a emporté ce qui faisait l'esprit des trésors accumulés pendant plus d'un siècle entre ses murs. Pour ce qui est de Dune qui est mon point de départ et qui constitue une parfaite illustration de ce que le profilage a fait au cinéma et à son public, on pourra (comme le fait Chaty) contester tout lien de sérialité et défendre l'idée qu'il s'agit simplement de l'adaptation d'un roman, Dune, en deux (peut-être trois) épisodes. En réalité la sérialité est omniprésente, à commencer par ce qui était conçu initialement comme une mini-série "préquelle" (mais le succès étant au rendez-vous, on continue l'aventure !), Dune : Prophecy, qui vient signer d'une certaine façon le retour du refoulé sériel (refoulé largement encouragé par Ze Academy, les Oscars, 7 récompenses cumulées me dit Chaty !). Chaty me dit également ceci, que je découvre avec le plus grand intérêt (sources EW, Wikipedia, Benzine, watson, journaldugeek, AlloCiné, etc.) : "Les films Dune de Denis Villeneuve et la série télévisée Dune: Prophecy partagent des liens étroits en termes de production, résultant en une cohérence notable entre les deux projets. 1. Acquisition des droits et développement initial : En novembre 2016, Legendary Entertainment a acquis les droits cinématographiques et télévisuels du roman Dune de Frank Herbert. Cette acquisition a conduit à la production des films réalisés par Denis Villeneuve (Dune en 2021 et Dune: Part Two en 2024) ainsi qu'à la série télévisée Dune: Prophecy, initialement intitulée Dune: The Sisterhood. 2. Collaboration entre les équipes créatives : Denis Villeneuve a été impliqué dans le développement de la série télévisée, prévu pour diriger et produire le pilote, avec Jon Spaihts à l'écriture du scénario. Tous deux ont également servi de producteurs exécutifs, aux côtés de Byron Merritt, Kim Herbert, Kevin J. Anderson et Brian Herbert, le fils de l'auteur original. 3. Évolution de la production de la série : Au fil du temps, des ajustements ont été apportés à l'équipe de production de la série. Jon Spaihts a quitté son poste de showrunner en novembre 2019 pour se concentrer sur Dune: Part Two. Diane Ademu-John a été nommée nouvelle showrunner en juillet 2021. En raison de son engagement sur le deuxième film, Villeneuve n'a pas pu réaliser le pilote de la série et a été remplacé par Johan Renck en avril 2022. 4. Continuité et cohérence visuelle : Malgré ces changements, la série et les films partagent une vision artistique cohérente. La série est conçue comme une préquelle, explorant les origines de la Bene Gesserit, et s'efforce de maintenir une continuité visuelle et narrative avec les films de Villeneuve. En somme, les films de Villeneuve et la série Dune: Prophecy sont intrinsèquement liés par leur développement sous l'égide de Legendary Entertainment et WarnerMedia, avec une collaboration étroite entre les équipes créatives pour assurer une représentation fidèle et cohérente de l'univers de Dune à travers ces différentes productions."

(Il y a une suite mais la taille limite semble atteinte pour ce post ! Lecteur, tu devras la trouver... ailleurs !)

Artobal
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le 7 mars 2025

Modifiée

le 8 mars 2025

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