(Je m'excuse par avance pour la confusion de ce billet. J'aurais voulu lui donner une direction plus claire, être moins maladroit. Je me console en me disant que Nolan n'a pas non plus réussi avec son film.)


Christopher Nolan est ce genre de réalisateur qui, pour moi, n'avait encore jamais fait de réel "faux-pas" (même si son troisième film Batman est bien en deçà du reste de sa filmographie exemplaire).
Exigent dans son écriture comme dans sa mise en scène, il avait jusque ici réussi à compenser le côté un peu bancal de ses œuvres par ce professionnalisme à toute épreuve.
Pour la première fois depuis longtemps (excepté faite de la trilogie Batman), il s'attaque à un sujet bien plus terre à terre (ou mer à mer, dans le cas présent) que ceux traités dans ses précédents films. Exit les histoires racontées à l'envers, les twists et tours de magie, l'exploration des rêves ou des trous noirs. Nolan s'intéresse ici à un événement historique et se sent presque investi d'une mission naturaliste: montrer la guerre, ses victimes, son déroulement, les réussites, les échecs...
Ce renouvellement thématique constituait d'autant plus une prise que le genre du film de guerre est extrêmement répandu à Hollywood, avec ses codes, ses lourdeurs, ses poncifs...
La question se posait alors: Nolan allait-il réussir à imposer sa singularité dans ce domaine ?
La réponse est "oui", mais c'est évident dès les premières secondes du film. Vient alors la seconde question: Notre enthousiasme survivra-t-il aux 1h40 de la séance ? C'est moins sur.


Le début du film est d'excellente augure. Nous suivons un jeune soldat britannique fuyant les troupes allemandes qui arrivent à Dunkerque pour rejoindre ses camarades en train de tenter d'évacuer par la plage.
L'intensité qui se dégage de ces premières minutes du long-métrage est bluffante. Caméra à l'épaule pour suivre la fuite du pauvre bougre, absence de dialogues, tension incroyable... Le spectateur s'attache à des personnages dont il ne connaît ni le nom, ni l'histoire. Leur détresse suffit à en faire des “amis naturels”. Ce simple parti-pris est une réelle bouffée d'air frais lorsque l'on considère les procédés “tire-larmes” auxquels ont souvent recours les productions du genre.
En fait, la première partie du film repose sur un numéro d'équilibriste particulièrement fragile. On se surprend à craindre pour la pérennité de l'exercice tout en se laissant absorber par l'image et le son.
Car Nolan réussit le pari de captiver en alternant scènes fortes, filmées au plus près des soldats, et plans larges servis par une photographie magnifique, à la fois lumineux et dépouillés.
Ce qui, paradoxalement, pose le premier problème du film: Les hommes sont-ils les héros de cette histoire, ou bien la plage, la mer, le ciel, sont-ils les réels protagonistes ? Cette question est d'autant plus légitime que le cinéaste a choisi des grands noms d'Hollywood (Tom Hardy, Kenneth Branagh, Cilian Murphy...) et a choisi d'en faire de simples figurants. Au passage, Murphy joue très bien le soldat anonyme traumatisé, et Kenneth Branagh est convaincant dans les quelques lignes que lui laissent le script.
Pour en revenir au rapport que le spectateur entretient avec ces acteurs de la guerre, les paysages magnifiés font parfois perdre de vue la tension que l'on devrait ressentir pour les personnages. En effet, les images sont belles mais participent au “lissage” de l'ensemble. Plage immaculée, cadavres propres... Le réalisme que Nolan veut insuffler à son film trouve sa limite dans cette esthétisation trop poussée.
Le caractère répétitif des événements accentue cette sensation de perte d'implication dans le récit. C'est tout à l'honneur de Nolan de vouloir donner une dimension documentaire au film, mais après trois tentatives d'évacuation ratées, plusieurs combats aériens (filmés de manière impressionnante), plusieurs torpillages, le spectateur se lasse forcément.
C'est là qu'intervient la “patte Nolan”. Pour remédier à la linéarité du déroulement de l'action, le réalisateur choisit de casser celle de la narration. Flash-backs, scènes répétées, séquencées, l'objectif semble être celui de réunir les différents protagonistes (civils, soldats, pilotes), d'entremêler leurs histoires, à la manière d'un film chorale. Malheureusement, cette technique se révèle très artificielle et ajoute de la confusion à l'ensemble, agaçant plus qu'elle ne surprend.
Cette ambition de film chorale qui ferait converger plusieurs personnages, chacun important et touchant à sa façon, est d'autant plus vaine qu'il est difficile de vraiment s'attacher à ces derniers passées les premières scènes particulièrement intenses.
Pour commencer par le petit bateau de civils à destination de Dunkerque pour aider à évacuer les troupes britanniques, ses occupants sont assez transparents. Mark Rylance est pourtant un excellent acteur et les jeunes comédiens s'en tirent aussi très bien. Mais lorsqu'une tragédie survient, le capitaine continue sa mission comme si de rien n'était, et les personnages ne semblent pas bouleversés outre-mesure. Alors oui, Nolan a cette volonté d’anonymiser ses personnages pour montrer la guerre de l'angle le plus réaliste possible et éviter de tomber dans le pathos vulgaire. Sauf que quand, à la fin du film, il essaie d'héroïser les acteurs de la guerre ou de nous faire ressentir quelque chose quand l'un d'entre eux meurt... eh ben forcément, ça marche pas.
Le jeune soldat au centre du film, lui aussi très bien interprété, perd de sa singularité lorsqu'il se retrouve entouré de ses collègues et que les dialogues et les situations prennent un air de déjà-vu.
Quant au personnage de Tom Hardy, lui et son ami pilote n'échangent que quelques mots entre deux loopings.
Cependant, au sein de cette confusion scénaristique et malgré ce problème d'empathie, on peut reconnaître au film quelques scènes incroyables de tension. Entre autres, et sans trop spoiler, on retiendra la scène du torpillage d'un bateau britannique et de la panique qui en découle, ou de l'enfermement de jeunes soldats dans un bateau abandonné sur la plage.
Je terminerai sur ce qui m'a le plus dérangé dans “Dunkerque”: son final.
Nolan avait tant bien que mal réussi à écarter de son film les éclats patriotiques, héroïsants à l'extrême. Mais dès que les bateaux civils arrivent pour secourir les troupes anglaises, notre Kenneth commence à louer la patrie, avant d'être relayé par un discours de Churchill, le tout servi par la finesse habituelle de l'orchestration de Hans Zimmer.
Les dernières scènes montrant le retour au pays des soldats sont franchement dispensables, et nous plongent dans tout ce que les films de guerre américains ont de plus cliché.


“Dunkerque” est donc un bien étrange objet. A la fois fascinant et agaçant, parfois prenant et souvent ennuyeux, magnifique et lisse, il laisse un goût d'inachevé, de manque de jusqu'au boutisme.

Mr_Step

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